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Les femmes et le droit de vote.
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       Le 12 mars 2005, la salle de la Rotonde était comble pour suivre la conférence de M. Claude CORNU intitulée :
Les femmes et le droit de vote sous la Troisième République : une expérience inédite de suffrage universel à Louviers en 1936.

Nous publions ci-dessous le texte intégral de la conférence de M. Cornu, présentée lors de l'Assemblée générale 2005 de la S.E.D..

          Le suffrage, longtemps réservé aux hommes, n’est devenu réellement universel en France qu’en 1944. Il a fallu, on le sait, attendre l’ordonnance du 21 avril 1944, signée par le général de Gaulle, pour que les femmes deviennent à leur tour électrices. Et pourtant, huit ans auparavant, en décembre 1936, la ville de Louviers avait été le théâtre d’une première expérience de suffrage universel complet : le maire, Pierre Mendès France, avait en effet décidé de faire élire par les hommes et les femmes six conseillères municipales adjointes, appelées à siéger au sein des différentes commissions comme en séance plénière. Initiative originale et méconnue, qui mérite qu’on s’y arrête. Pour en apprécier la singularité et l’importance, il convient d’abord de la replacer dans le contexte de l’époque et de rappeler quel était en 1936 l’état des lieux, le retard de la France par rapport au reste de l’Europe en matière de droits politiques accordés aux femmes. Nous évoquerons ensuite les moyens mis en œuvre par les associations féministes pour interpeller l’opinion publique et les responsables politiques et faire avancer la cause du suffrage féminin, mais aussi les initiatives prises par certains maires pour permettre aux femmes de prendre place dans les commissions municipales (car la manifestation de Louviers, nous le verrons, a connu des précédents, dont Mendès France s’est évidemment inspiré). Enfin nous nous attarderons sur cette expérience lovérienne, sur l’élection elle-même et son déroulement, et surtout sur le rôle joué par les conseillères élues, qui devaient siéger jusqu’à la dissolution du conseil municipal en avril 1941. Si l’intention était louable, il faut en effet s’interroger sur la réalité du pouvoir qui leur a été ainsi accordé.

             En 1936, la France est encore l’un des rares pays européens à ne pas avoir accordé le droit de vote aux femmes. Seules, la Suisse, la Bulgarie et la Yougoslavie le leur refusent également [1]. Partout ailleurs les femmes votent et sont même souvent éligibles. Elles ont obtenu ce droit parfois très tôt, dès 1906 en Finlande, le plus souvent au lendemain de la guerre. En Grande-Bretagne, par exemple, l’âge de l’électorat féminin est fixé à 30 ans en 1918, avant d’être abaissé à 21 ans comme pour les hommes en 1928. En 1930, la Turquie elle-même adopte l’égalité complète des droits politiques. Toutefois, dans certains pays le droit de vote s’accompagne de restrictions : en Grèce les femmes votent depuis 1931, mais aux seules élections municipales et à condition d’avoir 30 ans et de savoir lire et écrire. Ainsi, comme le souligne Alain Garrigou, « des pays protestants, catholiques, orthodoxes et même musulmans, républicains ou non, pas forcément démocratiques, avaient imposé le vote des femmes avant le pays qui se targuait d’avoir inventé le suffrage universel » [2].

              Le retard de la France en ce domaine est imputable à l’hostilité manifestée par le Sénat, durant la période de l’entre-deux-guerres, à l’égard de tout projet de réforme, et en particulier par le groupe de la gauche démocratique, qui regroupe les sénateurs radicaux, inscrits ou non au parti, et détient la majorité au sein de la Chambre Haute. Le Sénat a pu ainsi empêcher l’adoption des différentes propositions de loi votées par la Chambre des députés [3]. Quatre fois en effet, au cours de l’entre-deux-guerres, la Chambre a accordé l’électorat et l’éligibilité aux femmes, et avec des majorités de plus en plus importantes [4]. Le 20 mai 1919, les députés reconnaissent aux femmes les mêmes droits politiques qu’aux hommes, par 329 voix contre 95. Le 7 avril 1925, à la veille des municipales et des cantonales, c’est une réforme plus limitée qui est adoptée : le droit de vote et l’éligibilité aux seules élections locales. A nouveau, le 1er mars 1935, puis le 31 juillet 1936, la Chambre accorde aux femmes l’égalité complète des droits politiques. En 1936, c’est par 495 voix contre zéro (le seul vote hostile ayant été ensuite rectifié) qu’est adopté cet article unique : « Les lois et dispositions réglementaires sur l’électorat et l’éligibilité à toutes les assemblées élues sont applicables à tous les citoyens français sans distinction de sexe »[5]. A chaque fois, il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau : aucun de ces votes n’aura de suite, en raison de l’obstruction du Sénat [6].

 

              Il fallut attendre trois ans et demi avant que la proposition de loi adoptée en mai 1919 vienne en discussion au Sénat. Et le 21 novembre 1922, au terme de la discussion générale, le débat tourne court, les sénateurs repoussant le passage à l’examen des articles par 156 voix contre 134 [7]. Quant aux autres propositions votées par la Chambre, elles ne seront jamais inscrites à l’ordre du jour. Entre-temps, en 1932, le Sénat s’est saisi une seconde et dernière fois du problème, en examinant une proposition de loi de Louis Martin [8], membre de la gauche démocratique et néanmoins partisan résolu du suffrage féminin, proposition tendant à reconnaître aux femmes le droit de vote et l’éligibilité à toutes les élections [9]. Une fois encore, le 7 juillet, après deux semaines de débat et au moment de passer à l’examen de l’article unique du texte, les sénateurs enterraient le projet en rejetant l’urgence et en le renvoyant ainsi aux calendes grecques. Désormais même une proposition aussi modeste que celle déposée en février 1936 par Eugène Milliès-Lacroix, sénateur-maire de Dax, ne sera jamais discutée : il ne s’agissait pourtant que de permettre aux communes qui le souhaiteraient de faire élire par les hommes et les femmes des conseillères municipales en nombre limité (par exemple 6 dans les communes élisant 27 ou 30 conseillers). Et les femmes ainsi élues, si elles jouissaient des mêmes droits et étaient soumises aux mêmes obligations que leurs collègues masculins, ne pouvaient toutefois être désignées comme délégués sénatoriaux et participer à l’élection des sénateurs.

              A dix ans d’intervalle, en 1922 comme en 1932, les adversaires des droits politiques pour les femmes développent les mêmes objections. Trois raisons, à les entendre, justifient leur opposition : le suffrage des femmes est contraire à la nature, il serait un danger pour la République, de toute façon il est prématuré. D’abord, en effet, la femme est d’une nature différente. Sa sensibilité comme sa physiologie la prédisposent à être la reine du foyer, l’éducatrice des enfants, tandis qu’à l’homme, chef de la famille, incombent les rudes besognes, les responsabilités et les soucis du dehors. Ainsi le droit de vote et la participation à la vie publique détourneraient la femme de son rôle naturel et, en introduisant un risque de conflit au sein du couple, seraient une cause fatale de désunion et de désorganisation de la cellule familiale. La femme elle-même, souligne Armand Calmel, « a tout à perdre à entrer dans les luttes électorales. Que de déceptions et de souffrances nous lui éviterons en ne lui donnant pas le droit de vote » [10]. Et son collègue Duplantier, antiféministe notoire, de renchérir : « La plupart n’ont-elles pas des bouches trop petites pour qu’en puissent sortir les  gros mots qui sont trop souvent la monnaie courante des discussions électorales » [11].

             Mais, même si cette incompatibilité entre la nature féminine et la fonction politique n’existait pas, il y aurait un  intérêt public évident à refuser le droit de vote aux femmes. C’est l’argument sur lequel insistent les sénateurs radicaux : le sort de la République serait compromis. « On a constamment laissé les femmes dans toutes les familles, même dans les familles républicaines, fréquenter le clergé. De cette situation, le clergé profiterait immédiatement (…). Vous verriez les élus républicains disparaître pour faire place à l’opinion contraire » [12]. Permettre à la femme de voter, c’est, en raison de l’influence qu’exerce sur elle le prêtre, donner un avantage décisif à la droite conservatrice et cléricale et faire planer une menace sur les institutions républicaines. Le péril est d’autant plus redoutable que le déséquilibre démographique résultant de l’hécatombe de la guerre donnerait aux femmes la majorité au sein du corps électoral. Ce sont elles qui seraient maîtresses des destinées du pays : il faut donc refuser ce saut dans l’inconnu [13].

             De toute façon, une telle réforme est prématurée : les femmes ne sont pas prêtes actuellement à voter. Comme le souligne le rapporteur René Héry en 1932, « elles n’entendent rien aux problèmes essentiels de la politique, aux problèmes économiques et financiers » [14]. D’ailleurs, répète-t-on volontiers, les femmes elles-mêmes, les femmes de nos provinces, ne le réclament pas. « Quand je parcours les campagnes et que j’interroge les braves femmes qui sont à leur foyer, déclare Louis Tissier, je n’en trouve aucune qui me dise : nous voulons le bulletin de vote ». Prématurée, la réforme l’est enfin étant donné les circonstances et les périls de l’heure. C’est un argument que l’on développe surtout dans les années 30 : « A l’heure actuelle, rappelle René Héry, les intérêts les plus élevés, les plus graves, les plus poignants de notre pays sont débattus à Lausanne, à Genève, et vous y feriez apparaître les femmes avec leur faiblesse infiniment respectable, leur manque d’équilibre physiologique, et vous ne seriez pas inquiets ? ».

             Même ceux qui se prétendent partisans du droit des femmes multiplient réticences et objections. Ainsi pour Léon Jénouvrier, sénateur d’Ille et Vilaine, « priver les femmes du droit de vote est une injustice » [15]. Mais redoutant toute désunion dans les familles, il ne conçoit pas, dit-il, que la femme mariée puisse voter et n’accorde ce droit qu’à la veuve, à condition toutefois qu’elle ait 30 ans , pour éviter que le nombre des électrices présente le moindre danger. Quant à l’éligibilité, il la repousse catégoriquement : la femme doit garder la maison et élever les enfants. Avec de tels amis, serait-on tenté de conclure, le suffrage féminin n’avait pas besoin d’ennemis.

             Face à l’indifférence des gouvernements successifs et à l’hostilité résolue du Sénat, les féministes ne sont pas restées inertes au cours de ces années de l’entre-deux-guerres. Pour attirer l’attention de l’opinion et des pouvoirs publics, on voit même des femmes ne pas hésiter à poser leur candidature lors des scrutins municipaux ou législatifs et solliciter en toute illégalité les suffrages des électeurs. De leur côté, certains maires ont pris des initiatives, dans le cadre de leur municipalité, pour contourner le barrage de la loi et permettre à des femmes d’exercer au niveau local un minimum de responsabilités.

             Les diverses organisations féministes ont évidemment recours aux moyens classiques de propagande pour se faire entendre. C’est le cas, notamment, de la Ligue Française pour le Droit des Femmes (LFDF), la plus ancienne, présidée par Maria Vérone [16], et de l’Union Française pour le Suffrage des Femmes (UFSF), fondée en 1909 et présidée depuis 1924 par Cécile Brunschvicg, future sous-secrétaire d’Etat du premier cabinet L. Blum et adhérente du parti radical. Forte de plusieurs milliers d’adhérents et bien implantée en province, l’UFSF doit probablement son succès à ses positions modérées : elle entend obtenir d’abord pour les femmes le droit de participer aux élections locales. L’UFSF publie un hebdomadaire, La Française, elle multiplie les conférences, les brochures, les pétitions, les campagnes d’affiches [17], fait le siège des responsables politiques. L’activité des suffragettes peut prendre aussi un tour plus spectaculaire. En octobre 1934, Louise Weiss fonde La Femme Nouvelle avec l’intention de donner un nouveau souffle aux revendications des femmes et de tout faire pour attirer l’attention de la presse et du public. En juin 1936, par exemple, des militantes de la Femme Nouvelle vont perturber le grand prix de Longchamp : avant le départ de la course, elles se précipitent sur la piste et brandissent des affiches réclamant le droit de vote. Lors de la rentrée parlementaire, tandis que les députés se voient offrir des myosotis, elles offrent des chaussettes aux sénateurs pour leur montrer que le droit de vote n’empêchera pas les ménagères de les repriser. Le tout évidemment sous l’œil des journalistes, photographes et cameramen dûment prévenus [18].

             Mais nous nous intéresserons surtout, à une époque où elles ne pouvaient ni voter ni siéger dans une assemblée élue, aux femmes qui, en dépit ou en marge des lois, ont présenté leur candidature dans les consultations de l’entre-deux-guerres. Ces candidatures sont de trois sortes : candidatures illégales appelant les électeurs à déposer dans l’urne un bulletin qui ne pouvait qu’être annulé lors du dépouillement ; candidatures parallèles invitant à un geste symbolique dans des scrutins fictifs, en marge des opérations électorales régulières et des bureaux de vote officiels ; candidatures régulières en réponse à l’initiative de certains maires souhaitant, dans le cadre de la loi, faire une place aux femmes dans les conseils municipaux.

             Les candidatures illégales des femmes ne sont pas une innovation de l’entre-deux-guerres. En 1881, la socialiste Léonie Rouzade se présente aux municipales à Paris dans le XIIe arrondissement et recueille 58 voix sur quelque 11 000 votants. D’autres suivront son exemple : aux législatives de 1910, Madeleine Pelletier [19] dans le VIIIe arrondissement et Elisabeth Renaud dans l’Isère (2ème circonscription de Vienne) se présentent avec le soutien de la SFIO [20]. Dans les années 20, le parti communiste reprend ce mode d’action : désireux tout à la fois de dénoncer la société bourgeoise et d’entraîner les femmes dans la lutte, il se fait « le champion de l’égalité des droits civils », selon le mot de Jean-Paul Brunet [21]. Lors des municipales de mai 1925, le parti présente des candidates sur ses listes dans plusieurs communes, notamment dans le département de la Seine, et certaines seront élues avec leurs colistiers. C’est le cas d’Augustine Variot à Malakoff, de Marie Chaix à Saint-Denis, de Marthe Tesson à Bobigny. Dans chacune de ces communes, en effet, le bureau de recensement des votes a décidé de comptabiliser les suffrages qu’elles ont obtenus et les a proclamées élues. Très peu d’électeurs ont rayé leurs noms : Mme Variot, par exemple, recueille 2 321 voix, c’est-à-dire seulement 62 de moins que la moyenne de la liste. Au lendemain du scrutin, Marthe Tesson et Marie Chaix se voient même confier des responsabilités au sein du conseil : la première est élue deuxième adjoint de Bobigny, la seconde maire adjoint chargée des affaires sociales à Saint-Denis. Toutes trois siègeront dans les conseils municipaux pendant plusieurs mois jusqu’à leur invalidation par le Conseil d’Etat en janvier 1926 [22]. On peut citer d’autres exemples : un téléfilm récent a rappelé le rôle joué par Joséphine Pencalet à Douarnenez dans la longue grève menée par les ouvrières des sardineries en 1925 et son élection sur la liste communiste aux municipales de la même année.Le parti communiste renouvellera l’expérience en 1929 dans d’autres communes, notamment à Ivry-sur-Seine et Pantin [23].

             C’est une autre méthode que choisissent Louise Weiss et les militantes de la Femme Nouvelle en 1935 et 1936. Plutôt que ces candidatures inévitablement vouées à une annulation, elles décident d’organiser, en marge des élections régulières, des scrutins parallèles, qui tiennent de la pétition ou du référendum. Hommes et femmes sont invités à déposer dans des urnes improvisées , en dehors des bureaux de vote officiels, un bulletin portant le nom des candidates ou en faveur du droit de vote des femmes. Ainsi, lors des municipales de 1935, L. Weiss organise une élection symbolique dans le XVIIIe arrondissement, le jour du premier tour. Des cartons à chapeaux, en guise d’urnes, sont installés devant les bureaux de vote et les femmes comme les hommes peuvent y déposer un bulletin au nom de L. Weiss ou un bulletin portant la mention « je suis partisan du vote des femmes ». Le scrutin se déroule dans des conditions mouvementées : il faut affronter, en déversant de la poudre de riz, les agents qui veulent enlever les urnes et les installer aux terrasses des cafés. Néanmoins 18 959 suffrages sont recueillis . L. Weiss renouvelle sa campagne aux législatives de 1936 dans le Ve arrondissement. Elle s’y présente avec l’aviatrice Denise Finot et près de 15 000 bulletins seront déposés dans les urnes.

             A Bordeaux, c’est une manifestation un peu différente que met sur pied la Ligue Française pour le Droit des Femmes aux municipales de1935. la section locale constitue une liste composée de femmes et d’hommes, parmi lesquels figurent des représentants des différentes listes officielles , et comportant autant de noms que de conseillers municipaux à élire. Le scrutin, qui a été précédé de réunions dans les différents quartiers de la ville, a lieu la veille des élections, dans une salle municipale. Il s’adresse avant tout aux femmes, mais aussi aux hommes, invités à témoigner leur sympathie à la cause du suffrage féminin. 4 500 bulletins, dont 690 signés de noms masculins, seront comptabilisés à l’issue de la journée [24]. Pour les militantes de Bordeaux, comme pour L. Weiss, la preuve est faite : les femmes veulent obtenir le droit de vote et participer à la vie de la cité, les hommes ne sont pas hostiles à cette revendication des femmes.

             Mais, candidatures illégales ou scrutins fictifs, aucune de ces manifestations ne pouvait permettre aux femmes de détenir durablement un mandat politique et d’exercer réellement des responsabilités. Il en va autrement de celles qui vont se voir confier, à partir de 1935, des postes de conseillères municipales adjointes de la part de maires désireux de faire droit  aux revendications des femmes, sans pour autant sortir de la légalité. Les femmes appelées à ces fonctions seront nommées le plus souvent, mais parfois élues à la faveur de scrutins parfaitement légaux, entendons par là de scrutins qui ne seront pas annulés en conseil de préfecture, le rôle dévolu à ces conseillères n’étant que consultatif [25]. L’initiative en revient au député-maire (SFIO) de Villeurbanne, le docteur Lazare Goujon. Le 12 avril 1935, il publie un arrêté stipulant qu’il sera procédé le mois suivant, en même temps qu’au renouvellement du conseil, à l’élection de « quatre conseillères municipales privées », qui siègeront dans les commissions. C’est le corps électoral masculin qui procèdera à leur désignation [26].

             L’initiative séduit aussitôt l’Union Française pour le Suffrage des Femmes et sa présidente Cécile Brunschvicg. C’est là, pense-t-on, un premier pas qui peut ouvrir la voie à la réforme tant attendue et une expérience à généraliser. Mais, prudemment, l’UFSF songe à une nomination plutôt qu’à une élection, si l’on en juge par les recommandations qu’elle adresse à ses adhérentes. « Essayons, écrit La Française dans son numéro du 6 avril [27], de faire nommer dans différentes villes des femmes qui s’imposeront de telle sorte qu’un vote viendra bien vite ensuite consacrer légalement leur situation. Il faut que les conseillères officieuses deviennent incessamment des conseillères officielles. A nos amies de faire dans leurs départements une large propagande pour obtenir que l’initiative de M. Goujon soit partout réalisée ». Au lendemain des élections, Mme Brunschvicg renouvelle cet appel aux militantes, pour solliciter les maires et les inviter à désigner des conseillères : « Ce qu’il faut, c’est étendre l’expérience le plus possible. (…) Nous demandons donc à tous les groupes de l’UFSF -et si possible à toutes les associations- de faire immédiatement des démarches auprès des nouvelles municipalités pour qu’elles s’adjoignent quelques conseillères auxiliaires, celles-ci pouvant participer à toutes les commissions municipales et assister (avec voix consultative seulement) aux séances du conseil municipal. Telle est actuellement la ligne de conduite adoptée par l’UFSF en vue de l’action immédiate » [28]. La Fédération parisienne de l’UFSF va ainsi écrire aux 250 maires des communes de Seine et de Seine-et-Oise pour attirer leur attention sur cette question des conseillères municipales adjointes [29].

             Passé les municipales, nombre de communes vont suivre l’exemple de Villeurbanne et répondre aux sollicitations des groupements féministes. Mais la nomination de conseillères adjointes (appelées aussi conseillères privées, techniques ou auxiliaires) par le maire, souvent sur proposition des associations locales, sera la règle et leur élection l’exception. Semaine après semaine, La Française énumère les villes où des femmes sont nommées dans les commissions municipales : Auxerre, Versailles, Beaune, Saint-Jean-de-Maurienne, Orly, Niort, Dijon, Brive, Périgueux, Reims, Chaville, Croissy, Valmondois. A Niort, pour ne prendre que cet exemple, le maire, répondant à la demande du groupe local de l’UFSF, a prié celui-ci de lui désigner quatre femmes comme conseillères techniques pour participer aux commissions d’hygiène et d’habitations à bon marché, avant de procéder à leur nomination [30]. Au total, entre mai 1935 et fin 1936, ce sont 38 communes, si l’on recense les informations fournies par La Française, qui créent des postes de conseillères [31]. Il s’agit surtout de villes moyennes [32], dont les 2/5 se situent dans la région parisienne. Les maires dont l’appartenance politique est connue sont souvent de sensibilité radicale : sans doute se sont-ils montrés plus réceptifs aux demandes d’une association dont la présidente est membre du parti.

             Rares sont les communes où l’on a procédé à une élection. La proposition a même parfois été délibérément écartée : à Périgueux le conseil municipal se prononce contre le vœu d’un de ses membres réclamant une élection par les femmes elles-mêmes et décide de faire appel comme ailleurs aux groupements féministes pour établir une liste sur laquelle il statuera ensuite [33]. Les conseillères ne seront élues que dans cinq communes : Villeurbanne, Dax, Ussel [34], Guillaumes (Alpes-Maritimes) et Louviers. Les modalités diffèrent d’une commune à l’autre. L’élection de Louviers, nous le verrons, offre le seul exemple d’un suffrage universel complet. A Villeurbanne, l’élection a eu lieu à la même date que les municipales, les 5 et 12 mai 1935, mais ce sont les hommes seuls qui ont pu voter. A proximité de chacun des bureaux de vote était installé, dans un local adjacent, un autre bureau tenu par les femmes. Les électeurs étaient invités, après avoir accompli leur devoir, à voter une seconde fois pour élire les 4 conseillères privées. Trois listes étaient en présence : une liste communiste, une liste présentée par l’UFSF (et dite « goujonniste », parce qu’elle bénéficiait du soutien de la municipalité sortante) et une liste de droite. Le corps électoral étant identique, cette double élection aboutit aux mêmes résultats : arrivés en tête au premier tour, les communistes enlèvent, le dimanche suivant, la mairie de Villeurbanne au docteur Goujon et remportent les 4 sièges de conseillères. Mais les hommes n’ont manifesté qu ‘un intérêt limité pour cette expérience : au second tour seuls 57 % de ceux qui sont venus voter ont ensuite participé à l’élection des conseillères.

             A Dax, en revanche, ce sont les femmes qui vont élire celles-ci. Le 20 mai, huit jours après les municipales, le sénateur-maire Eugène Milliès-Lacroix (radical) prend un arrêté créant 6 postes de conseillères adjointes, dont l’élection est fixée au 23 juin, et fait établir par les services municipaux une liste électorale. Sont électrices les femmes âgées de 25 ans et domiciliées à Dax depuis le 1er décembre 1934. Les associations locales étant parvenues à s’entendre pour former une liste unique [35], celle-ci l’emporte sans difficultés sur les candidatures isolées qui se sont manifestées. Le nombre de votantes peut sembler modeste :   2 676 sur 4 682 inscrites (57,1 %). Mais le maire avoue avoir péché par manque de confiance, en établissant un seul bureau de vote : en fin de matinée, il fallait attendre plus d’une heure avant d’arriver à l’urne et plusieurs centaines d’électrices, à l’entendre, sont reparties à midi sans avoir pu voter [36]. L’année suivante, le 11 octobre 1936, ce sont également les femmes qui procèdent à l’élection de trois conseillères à Guillaumes, dans les Alpes-Maritimes [37].

             Elues ou nommées, ces conseillères vont jouer un rôle analogue et relativement limité. Leur nombre est réduit : de 2 à 6 selon la taille des communes, rarement plus. Elles siègent dans les commissions municipales, mais presque jamais en séance plénière. A Villeurbanne, par exemple, elles assistent aux séances publiques du conseil au banc de la presse et sans prendre part aux délibérations. A Versailles et Croissy-sur-Seine, toutefois, elles sont convoquées à toutes les séances et peuvent intervenir dans la discussion, mais sans participer aux votes. D’autre part, les postes qui leur sont confiés correspondent au partage traditionnel des tâches entre les sexes. Elles n’entrent que rarement dans les commissions des finances ou des travaux. En raison des compétences qu’on leur reconnaît pour les questions d’éducation et d’assistance sociale, elles sont nommées le plus souvent dans les commissions d’hygiène et les commissions scolaires [38]. C’est pourquoi les conseillères auxquelles on fait appel sont souvent, pour celles dont la profession nous est connue, infirmières, sages-femmes, assistantes sociales ou enseignantes. Elles entrent également dans les commissions extra-municipales traditionnellement vouées à l’assistance sociale (bureaux de bienfaisance ou commissions des hospices). Mais ces nominations ne constituent pas une innovation : avant 1935, dans un certain nombre de communes, des femmes figuraient déjà dans ces commissions, dont les membres sont désignés par les maires.

             Cette expérience ne fait d’ailleurs pas l’unanimité au sein des associations féministes. La LFDF en dénonce le caractère illusoire et le danger. Les femmes, en effet, en dépit de ce titre de conseillères qu’on leur octroie, n’ont aucun pouvoir, et elles ne font précisément qu’occuper des fonctions analogues à celles qui figuraient auparavant dans les bureaux de bienfaisance et autres commissions administratives. D’autre part, souligne Le Droit des Femmes, organe de la LFDF, en acceptant ce rôle au rabais, les femmes lâchent la proie pour l’ombre. On leur concède un titre honorifique, pour mieux leur refuser l’égalité politique et civile à laquelle elles aspirent. Les féministes sont donc invitées à la méfiance : « Pour mieux vous duper on est en train de créer une atmosphère factice de réforme » [39]. La suite devait donner raison à la Ligue. Les nominations et élections de conseillères adjointes n’ont nullement fait progresser la cause du suffrage des femmes (pas plus que la nomination de trois femmes dans le premier cabinet L. Blum en juin 1936). Le Sénat persistera dans son hostilité et refusera d’aborder à nouveau la question.

             C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’élection de décembre 1936 à Louviers, pour en apprécier l’originalité et l’intérêt, mais aussi les limites. P. Mendès France a repris tardivement une idée expérimentée ailleurs [40], mais en y apportant des modifications importantes. Lors des élections de mai 1935, le programme de la « liste républicaine », dont il a pris la tête, ne fait qu’une vague allusion à la participation éventuelle (et épisodique, semble-t-il) de femmes au travail municipal. Dans le chapitre consacré aux œuvres sociales, après l’aide au dispensaire, aux crèches, aux garderies, et la lutte contre les taudis, on peut lire : « Introduction de femmes chaque fois que cela sera opportun au sein des commissions municipales, et notamment des commissions d’urbanisme ». Il faut attendre le 25 juillet 1936 pour que le conseil municipal décide la création de 6 postes de conseillères adjointes. A cette date, la plupart des municipalités qui ont fait ce choix ont déjà procédé à l’installation de ces conseillères. Mais l’originalité de l’initiative lovérienne tient au mode de désignation retenu : elles seront élues au suffrage universel complet, par les hommes et par les femmes. Le règlement établi par la commission désignée à cet effet et publié en octobre fixe les deux tours de l’élection aux 13 et 20 décembre et invite les Lovériennes à s’inscrire sur une liste électorale spéciale ouverte à leur intention. Les conditions sont les mêmes que pour les hommes : être âgée de 21 ans avant le 31 mars 1936 et être domiciliée à Louviers [41]. Qui plus est, Mendès France est décidé à pérenniser cette expérience : à l’avenir, en effet, il est prévu que les conseillères seront élues en même temps que les conseillers municipaux, ou dans un délai de deux mois après les élections ordinaires.    

             La décision reçoit l’approbation de la droite locale. Le maire veut donner aux femmes « leur place dans l’administration de la cité, et c’est très bien », écrit L’Industriel de Louviers [42], qui les invite à aller s’inscrire. A gauche, La Dépêche de Louviers relaie cette initiative, mais sans enthousiasme excessif, si l’on en juge par la place qu’elle lui accorde : il faut attendre l’avant-veille du premier tour pour que l’événement soit évoqué en première page. Toutefois, le comité radical de Louviers, redoutant que le vote ne soit un échec, contacte les associations amies et leur demande « d’agir de la manière la plus pressante auprès des membres femmes pour qu’elles n’hésitent pas à se faire inscrire et auprès des membres hommes pour qu’ils veuillent bien faire inscrire leurs femmes » [43]. Les inscriptions sont un relatif succès pour la municipalité : 2193 femmes sont venues s’inscrire, c’est-à-dire, semble-t-il, près des trois quarts de celles qui remplissaient les conditions requises [44].

         La campagne du premier tour se déroule dans le calme. Les candidates déclarées sont peu nombreuses. A droite, trois femmes ont déposé leur candidature : Mlle Dubois, une catholique pratiquante connue pour son dévouement aux œuvres sociales, Mme Masset, infirmière-visiteuse, et Mme Lemercier, assistante sociale. Chacune se présente individuellement et, récusant toute appartenance politique, déclare désirer uniquement travailler au bien commun. A gauche, cinq femmes ont constitué une liste « d’action sociale », qui est à l’évidence le fruit d’un accord entre radicaux, socialistes et communistes [45] (la dynamique du Front Populaire est encore à l’œuvre). Elles représentent les classes moyennes et les milieux populaires : la liste compte deux ouvrières, une commerçante, une institutrice, une comptable. Tout en soulignant qu’elles devront d’abord s’occuper de la maternité et de l’enfance et n’ont pas à parler de politique, elles ne dissimulent pas leurs convictions et s’affichent, dans leur circulaire, comme « républicaines, attachées à la liberté de conscience, à la laïcité, au progrès social et à la paix » [46]. S’il souhaite le succès de cette liste [47], Mendès France se refuse toutefois à lui accorder son patronage et observe une stricte neutralité : « La municipalité n’intervient pas dans la compétition électorale, écrit-il à la veille du scrutin. Elle ne patronne aucune candidature » [48]. S’il faut en croire L’Industriel de Louviers, il aurait voulu que la compétition ne s’engage pas sur le terrain politique et que se constitue une liste unique, comportant des candidates d’opinions diverses, mais il se serait heurté au refus des partis d’extrême gauche [49], c’est-à-dire de la SFIO et du Parti communiste. Un tel projet est certes très plausible : c’est ce qui s’est fait à Dax l’année précédente. Mais la neutralité peut aussi s’expliquer par le souci d’éviter les retombées de l’échec éventuel d’une liste pour laquelle il aurait appelé à voter (car l’on pouvait penser que les femmes voteraient plutôt à droite) et de garder le bénéfice de l’opération, quel qu’en soit le résultat. En face, la droite a attendu les dernières heures pour entrer en action. La veille de l’élection, est distribuée la circulaire d’un « groupe d’entente pour les œuvres sociales de la ville de Louviers », prête-nom de la droite locale, invitant électrices et électeurs à n’apporter leur voix qu’à « celles des candidates donnant toutes garanties au point de vue valeur morale, valeur sociale et indépendance ». Et le matin même du scrutin, le Journal de Rouen, reproduisant cette circulaire, y ajoute une recommandation à voter pour Mlle Dubois, Mme Masset et Mme Lemercier, et à choisir trois autres noms parmi les personnes se dévouant aux œuvres sociales.

 Les quatre conseillères élues, Mme Perreaux, Le Pelletier, Dubois et Masset, accompagnées d'une cinquième personne, sans doute Mme Lemercier..

            Dans ces circonstances, le 13 décembre, le premier tour est sans surprise. Si la participation peut paraître modeste (2 896 votants pour 4 945 inscrits, soit 60,3 %), cela tient au fait que nombre d’hommes se sont désintéressés du scrutin et, selon La Dépêche de Louviers, surtout dans les rangs de la gauche : seuls 46,4 % sont venus voter. Les femmes, en revanche, ont été nettement plus nombreuses : 77,9 % [50]. Les résultats sont un échec pour la liste d’action sociale qui ne recueille en moyenne que 38,7 % des voix. Deux femmes sont élues dès le premier tour : Mme Masset (1 866 voix, 65,3 %) et Mlle Dubois (1570, 55 %). Mme Lemercier, elle aussi candidate, ne recueille que 851 voix. En raison des consignes de vote de la droite, les voix se sont ensuite éparpillées sur plus de 200 noms. Mais certaines, en raison de leur profession ou de leur position sociale, sortent du lot, avec plusieurs centaines de suffrages : Mme Perreaux, animatrice d’œuvres sociales, Mme Le Pelletier, dont le mari est l’un des plus importants manufacturiers de la ville et le responsable du PSF local, Mme Voisin, sage-femme.

             Le second tour est une confirmation du premier. Deux listes sont en présence cette fois, pour les quatre sièges restant à pourvoir. La liste d’action sociale réitère sa profession de foi et en appelle à « la tradition républicaine et sociale de Louviers » pour éviter le « triomphe de candidates hostiles à la République. A droite, même si Mme Voisin fait savoir qu’elle n’est pas candidate, le groupe d’entente pour les œuvres sociales de Louviers diffuse une nouvelle circulaire appelant à voter pour les quatre noms arrivés en tête : Mmes Lemercier, Perreaux, Voisin et Le Pelletier. La participation est cette fois sensiblement supérieure : 66,6 % des inscrits ; 80 % chez les femmes, 56 % chez les hommes qui, s’ils se sont davantage mobilisés, ont été encore nombreux à bouder les urnes. Le résultat est sans appel : les 4 candidates de droite sont élues avec plus de 55 % des voix en moyenne (et même 59 % pour la mieux élue, Mme Perreaux), la liste d’action sociale n’en recueille que 38 %. La Dépêche de Louviers ne peut que regretter à nouveau l’indifférence manifestée par les hommes de gauche et les manœuvres de la droite locale. Et de dénoncer « les Croix de Feu de Louviers » [51] qui sont allés de porte en porte, les domestiques d’un industriel local mobilisés pour distribuer dans le quartier Saint-Germain bulletins de vote et bons de viande, les dames du patronat  qui, le jour même du scrutin, ont organisé un arbre de Noël, où pour la première fois étaient conviés tous les enfants du textile. Mais le journal met aussi en cause le désengagement de la municipalité (et donc, même s’il n’est pas nommé, du maire lui-même), dont le mot d’ordre « pas de politique ! » a fait faillite. La presse de droite, en revanche, se félicite de la défaite de « la liste républicaine antifasciste patronnée par le député-maire de Louviers » [52].

 

            Les conseillères sont officiellement installées le samedi 13 février 1937, au cours d’une séance solennelle que vient présider Mme Brunschvicg, sous-secrétaire d’Etat à l’Education nationale (elle est l’une des trois femmes nommées au gouvernement par Léon Blum). C’est l’occasion pour Mendès France de préciser le rôle qu’il veut leur confier [53]. Contrairement à ce qui se fait ailleurs, il n’entend pas limiter les questions qui leur seront soumises. Elles entreront dans toutes les commissions, y compris la commission des finances, où elles auront voix délibérative comme leurs collègues masculins. Un siège leur sera également réservé au sein des commissions extra-municipales (commission administrative de l’hospice, commission de chômage) et du conseil des directeurs de la Caisse d’Epargne. Enfin, elles participeront à toutes les séances publiques du conseil municipal et pourront y prendre la parole, mais la loi ne permet de leur y donner que voix consultative [54]. Il souhaite toutefois, a-t-il écrit à Mme Brunschvicg le 14 décembre, qu’elles votent aux séances du conseil « dans tous les cas où leurs votes à main levée sont possibles » [55]. Programme ambitieux, mais qui se heurtera au poids des mentalités et aux réticences des propres amis du maire. Même s’il considère les femmes comme des citoyennes à part entière et souhaite qu’elles puissent jouir de la plénitude des droits politiques, Mendès France conserve en même temps une vision traditionnelle de leur rôle. Dans cette même lettre à Mme Brunschvicg, où il affirme son intention « d’aller très loin », il écrit : « Elles participent à toutes les questions dont s’occupent les conseillers municipaux, étant entendu qu’en fait c’est surtout dans l’ordre social que leur activité doit se déployer : inspection des écoles maternelles, distribution de lait dans les écoles ; etc. ». Nombre de féministes, il est vrai, partageaient ce point de vue. Mme Brunschvicg elle-même, lors de la conférence qu’elle prononce dans la soirée à Louviers sur le rôle des femmes dans la vie publique, fait sienne la conception classique d’une nature féminine vouée à des tâches spécifiques : « La femme ne peut prétendre à occuper toutes les places, à jouer tous les rôles dévolus aux hommes, mais par sa nature elle est plus prédisposée à en tenir quelques-uns mieux que les hommes, qui seraient très heureux de s’en décharger sur elle » [56].

             La mise en œuvre des projets du maire, d’ailleurs, ne va pas sans difficultés. Dès le 20 avril, il doit avertir Mme Lemercier qu’elle ne pourra siéger au conseil de direction de la Caisse d’Epargne : « Le Conseil des directeurs n’a pas semblé partager mon avis, un grand nombre des directeurs ont craint de mécontenter les directeurs-adjoints, en donnant un siège au Conseil à une personne n’ayant pas été préalablement directeur-adjoint » [57]. Quant à la possibilité pour les femmes de voter dans certains cas en séance, il dut y renoncer, en raison, sans doute, de l’irrégularité de la procédure, mais aussi de l’hostilité des conseillers les plus radicaux. Le seul vote qu’elles purent émettre, le 2 juillet 1937, soulève en effet immédiatement des protestations. Ce soir-là figure à l’ordre du jour le projet de donner le nom de Roger Salengro [58] à une rue de la ville, projet qui suscite l’opposition des femmes présentes. Mme Lemercier provoque la colère de certains conseillers en parlant du « lourd soupçon » qui pèse sur ce nom. Et si la proposition, soumise au vote de l’assemblée, est adoptée, les femmes votent contre ou s’abstiennent. L’un des conseillers intervient alors pour demander si elles ont bien le droit de voter. Mendès France élude la question en répondant que le problème sera étudié par la suite [59], mais désormais les conseillères ne participeront plus à aucun vote.

             Dans ces conditions, face au double obstacle des dispositions légales et des divergences politiques avec l’équipe en place, quel rôle les conseillères adjointes ont-elles effectivement joué ? N’ont-elles été que des figurantes ou ont-elles pu exercer une réelle influence et infléchir les décisions ? Elles siègent, nous l’avons dit, dans toutes les commissions [60]. De même, on fait appel à leur concours chaque fois qu’est créée une commission spéciale chargée d’étudier un problème particulier, élaboration du statut et d’une échelle de traitements pour les employés municipaux ou renforcement des dispositions prévues par le règlement sanitaire. Malheureusement, aucun document ne subsiste sur leurs interventions au sein de toutes ces commissions (où elles avaient, rappelons-le, voix délibérative) et la part qu’elle y ont prise à l’élaboration des projets. Nous ne disposons que des registres des délibérations du conseil municipal et des comptes rendus qu’en donne la presse locale, pour apprécier l’action qu’elles ont pu exercer durant les 4 années de leur mandat (de février 1937 jusqu’à la dissolution du conseil par Vichy en avril 1941).

             Elles se montrent dans l’ensemble très ponctuelles au cours des deux premières années, mais par la suite on peut distinguer, comme chez les hommes, les conseillères assidues, comme Mme Lemercier et Mlle Dubois, pratiquement présentes à tous les conseils, et les absentéistes (en 1939, Mme Masset n’assiste qu’à une séance sur 7, Mme Voisin, qui, il est vrai, n’avait pas fait acte de candidature, à aucune). Elles jouissent au conseil d’une totale liberté de parole, d’autant plus que Mendès France fait toujours preuve à leur égard d’une écoute bienveillante et d’une grande courtoisie, même lorsque la discussion s’engage sur un terrain plus politique et prête à polémique. C’est le cas, on l’a vu, en juillet 1937, lorsque Mme Lemercier fait écho aux calomnies de la presse d’extrême-droite sur R. Salengro, ou en juin 1939, lors d’une vive discussion suscitée par la projection à Louviers du film de Renoir La Marseillaise : devant les protestations des conseillères, trouvant fâcheux qu’on puisse blesser certaines convictions, le maire assure simplement ne pas comprendre comment quelqu’un a pu être blessé par ce film. Il n’est pas de séance où elles ne prennent, et à de fréquentes reprises, la parole, pour exprimer un désaccord ou pour formuler avis et propositions. On voit même en mai 1938 Mme Lemercier faire une longue communication sur la situation financière de l’Union sportive lovérienne : sa demande de subvention est précédée d’un exposé sur la place insuffisante du sport à l’école et la nécessité d’encourager les sociétés locales. Dans leurs interventions, elles apparaissent particulièrement soucieuses de l’emploi des deniers publics et bien plus attentives que les hommes aux détails pratiques de la vie quotidienne. Quand elles ne déplorent pas le montant de certains travaux d’aménagement de la ville ou l’augmentation de la taxe sur les locaux industriels et commerciaux, elles s’inquiètent des heures d’enlèvement des ordures ménagères, de l’absence d’un garde-fou à un lavoir, de la propreté d’une cour d’immeuble, de la signalisation.

             Leurs propositions furent-elles prises en compte et suivies d’effet ? Elles n’ont pu, certes, modifier les grandes orientations de la politique municipale, d’autant plus que, même si elles n’ont pas d’étiquette partisane, elles appartiennent à la droite classique et représentent l’opposition aux yeux de la majorité radicale du conseil. A Mme Lemercier qui, devant le montant de travaux d’aménagement, trouve qu’on donne l’impression que « la ville roule sur l’or », le maire oppose une « explication péremptoire » [61]. Lorsqu’en janvier 1939 elle regrette un emprunt, pour des travaux de voirie, qui dépasse le tiers du budget de la ville, alors qu’il faudrait réaliser des économies et envisager des travaux de défense passive, on lui répond que l’emprunt a été voté et que la ville a fait tout ce qui lui incombait pour la défense passive. Mais, pour autant, nombre de leurs suggestions sont retenues. A la demande de Mme Perreaux, on veille à ce que le service d’enlèvement des ordures ne passe pas dans certaines rues avant 7 heures. Mme Lemercier ayant suggéré l’organisation d’un service d’hygiène scolaire, le maire lui demande de faire des propositions qu’il est prêt à examiner, et quelques mois plus tard, il précise en séance qu’elle a fourni sur cette question un rapport dont la municipalité a retenu les principales propositions [62]. De même, le conseil approuve Mme Perreaux  lorsqu’elle signale l’état désastreux de la garderie Saint-Jean et demande de créer une école maternelle ou de transférer la garderie ailleurs [63].

             Il est même arrivé qu’elles amènent le conseil à modifier un projet. En mai 1937, il est proposé d’offrir un voyage à Paris pour l’Exposition internationale aux enfants ayant obtenu le certificat d’études et les plus radicaux des conseillers, Paul Quemin en particulier, entendent réserver cette récompense aux élèves des écoles publiques. Devant les protestations véhémentes des conseillères, qui s’insurgent contre ce sectarisme, le conseil, à une courte majorité, décide d’offrir le voyage à tous les lauréats des écoles publiques et privées [64]. Il est permis de penser que ce sont elles qui ont su convaincre certains de leurs collègues. Bref, le rôle qu’elles ont joué est sans doute moindre que ce que souhaitaient les féministes radicales, attachées à une stricte égalité des droits, mais plus important que celui de bien des conseillers municipaux, hier comme aujourd’hui, souvent sans prise réelle sur les décisions et réduits en séance à une muette approbation.

             Les avatars du droit de vote pour les femmes durant ces années d’entre-deux-guerres et les expériences que nous venons d’évoquer nous livrent plusieurs enseignements. D’abord la difficulté en France à opérer les réformes nécessaires. A Raymond Aron qui lui disait un jour : « La France ne fait pas de réformes, elle ne fait que des révolutions », le général de Gaulle, corrigeant la formule, avait répondu : « La France ne fait de réformes que dans la foulée des révolutions ». S’agissant du suffrage universel -1848, 1944- reconnaissons la pertinence du propos. Ensuite, si moderne qu’il se veuille, un réformateur doit composer avec les pesanteurs de son époque et lui-même n’est pas à l’abri des idées reçues. Pierre Mendès France a voulu donner aux femmes toute leur place dans la vie publique. Il n’en pensait pas moins que leur activité devait se déployer avant tout dans le secteur social et, lorsqu’il lui fut possible, après la Libération, d’inclure des femmes dans ses listes municipales, elles n’eurent droit qu’à une maigre portion : 3 places sur 27 en 1945 et 1947, 2 seulement en 1953. Enfin, l’expérience des conseillères adjointes, simple palliatif à une revendication légitime, vient rappeler, s’il en était besoin, que, dans la conquête de leurs droits, les femmes devront toujours manifester volonté, ardeur, vigilance.        

[1] Mais l’année suivante, la Bulgarie accordera aux mères de famille le suffrage municipal.
[2] Histoire sociale du suffrage universel en France, Seuil, 2002, p. 266.
[3] Une loi devait être adoptée en termes identiques par les deux Assemblées, et la Chambre des députés, élue au suffrage universel, n’avait pas, comme sous la Cinquième République, la possibilité de statuer définitivement.
[4] A chaque fois, le texte qui vient en discussion est une proposition de loi, donc un texte d’origine parlementaire : aucun gouvernement, sous la Troisième République, n’a voulu prendre l’initiative d’une telle réforme.
[5] Proposition de loi déposée par Louis Marin, député de Meurthe-et-Moselle et président de la Fédération républicaine (droite).
[6] Certains députés se montraient d’ailleurs d’autant plus favorables au suffrage féminin qu’ils savaient le Sénat hostile à cette réforme. « On connaît les aspects stratégiques du double jeu parlementaire, lorsque l’adoption d’une proposition de loi par la Chambre des députés précède son rejet par le Sénat » (Alain Garrigou, op. cit. p. 273).
[7] 112 des 156 opposants appartiennent au groupe de la gauche démocratique, 28 radicaux seulement votent le passage à la discussion des articles (chiffres fournis par Steven C. Hause, Women’s suffrage and social politics in the French Third Republic, Princeton University Press, 1984).
[8] Il est sénateur du Var.
[9] Mais Louis Martin, pour compenser le déséquilibre démographique entre hommes et femmes, limitait le droit de vote aux femmes âgées de 25 ans.
[10] Séance du 5 juillet 1932. A. Calmel, sénateur de la Gironde, est membre du groupe de l’union démocratique et radicale.
[11] Séance du 28 juin 1932. Raymond Duplantier, sénateur de la Vienne, est membre de la gauche démocratique. Il ne recule pas devant les plaisanteries graveleuses. Accepter le droit de vote pour les femmes, dit-il, c’est l’accorder également aux prostituées, et il évoque en termes choisis les conséquences : « Si un jour on votait la proportionnelle, comme il y a 18 000 femmes de cette sorte à Paris, elles pourraient avoir un député (…). Ces dames voudront être députés ? Eh bien ! non ! Qu’elles restent donc … ce qu’elles sont ! ». Le Journal officiel précise que cette plaisanterie a provoqué les sourires de l’auditoire. Duplantier aura moins l’occasion de rire trois ans plus tard : des militantes féministes feront campagne contre lui lors du renouvellement sénatorial de 1935 et contribueront à sa défaite.
[12] Louis Tissier, sénateur du Vaucluse et membre de la gauche démocratique, séance du 23 juin 1932.
[13] On observe une crainte analogue chez certains sénateurs de droite : eux aussi sont hostiles au droit de vote pour les femmes, parce qu’ils redoutent qu’elles ne donnent leur voix aux partis d’extrême-gauche.
[14] Séance du 7 juillet 1932. René Héry est sénateur des Deux-Sèvres et, lui aussi, membre de la gauche démocratique.
[15] Séance du 23 juin 1932. Catholique fervent, L. Jénouvrier siège sur les bancs de la gauche républicaine au Sénat, donc à droite.
[16] Maria Vérone est avocate. Elle entend préserver l’indépendance de son mouvement à l’égard des partis politiques, même de la SFIO dont elle est membre. Deux ouvrages s’avèrent particulièrement précieux pour la connaissance des mouvements féministes sous la Troisième République : Laurence Klijman et Florence Rochefort, L’Egalité en marche. Le féminisme sous la Troisième République, Presses de la FNSP/ Des femmes, 1989, et Christine Bard, Les Filles de Marianne. Histoire des féminismes, 1914-1940, Fayard, 1995.
[17] Par exemple, en 1925, à la veille des élections municipales, elle placarde sur les murs de Paris une affiche tirée à 2 000 exemplaires, intitulée « Protestation » : « Depuis de longues années, les femmes françaises, bien sagement, bien correctement réclament leurs droits politiques. Les Pouvoirs Publics ont profité de leur calme pour ne rien leur accorder et, jusqu’à la veille des élections, ils les ont bernées avec de belles promesses. Qu’attend le Parlement ? (…) ». (AN F7 13 266).
[18] Louise Weiss fait le récit de toutes ces manifestations dans le tome 3 de ses Mémoires d’une européenne (Payot, 1970).
[19] Charles Sowerwine et Claude Maignien consacrent un chapitre à cette élection dans leur biographie de M. Pelletier (Madeleine Pelletier, une féministe dans l’arène politique, Editions ouvrières, 1992). Elle aurait obtenu 340 voix, annulées lors du dépouillement. 
[20] On attribue généralement à Elisabeth Renaud un nombre étonnamment élevé de suffrages. Selon Pierre Barral, elle aurait obtenu 2 871 voix (Le département de l’Isère sous la Troisième République, A. Colin, 1962, p. 556), soit 21 % des votants. Il s’agit en fait d’une erreur de calcul, qui vient de ce qu’on lui attribue la totalité des bulletins nuls, qui ont été effectivement très nombreux dans cette élection. Mais la candidature d’E. Renaud n’en est pas la seule raison. Dans cette circonscription, il n’y avait, à part elle, qu’un seul candidat, le député radical sortant Plissonnier. Nombre d’électeurs ont donc voulu lui manifester leur hostilité soit en rayant son nom (et quelquefois en y substituant celui d’E. Renaud), soit en déposant dans l’urne le bulletin imprimé au nom de celle-ci (« citoyenne Elisabeth Renaud, candidate du parti socialiste SFIO »). Les procès-verbaux de l’élection sont conservés aux Archives nationales (AN C 6626) et souvent les bulletins nuls y sont annexés. Pour les communes concernées (qui représentent les ¾ des électeurs inscrits), on dénombre 2 006 bulletins nuls sur 9 586 votants, parmi lesquels 365 bulletins « Elisabeth Renaud , candidate SFIO » (3,8 % des votants) et 195 bulletins Plissonnier , sur lesquels le nom du député sortant a été remplacé par celui de la candidate, parfois mal orthographié (2 %). Même en additionnant les deux , on n’obtient que 5,8 % des votants, pourcentage qui peut, semble-t-il, être retenu pour l’ensemble de la circonscription. Steven Hause, en lui attribuant 27,5 % des voix (« She received 2 869 votes for 27,5 percent of the poll », op. cit. p. 151) commet une autre erreur de calcul : ce pourcentage ne peut être obtenu qu’en prenant pour base les seuls suffrages obtenus par Plissonnier, au lieu de la totalité des votants.  
[21] Jean-Paul Brunet, Une banlieue ouvrière : Saint-Denis (1890-1939), thèse d’Etat, dir. L. Girard, Paris IV, 1978, p. 1169.
[22] Leur élection avait d’abord été annulée par le conseil de préfecture du département de la Seine quelques jours après le deuxième tour, mais elles s’étaient pourvues devant le Conseil d’Etat.
[23] Jean-Paul Brunet, op. cit., p. 1169. A Ivry-sur-Seine, Marie Lefèvre est déclarée élue au second tour avec ses colistiers , à l’issue du dépouillement. Elle siège au conseil municipal jusqu’à son invalidation par le Conseil d’Etat, le 21 février 1930. L’élection avait été annulée le 24 juin 1929, un mois et demi après le scrutin, par le conseil de préfecture de la Seine, mais Marie Lefèvre, comme les conseillères élues en 1925, avait présenté une requête contre cet arrêté devant le Conseil d’Etat (documents communiqués par les archives municipales d’Ivry-sur-Seine). 
[24] Le Droit des femmes (organe de la LFDF), mai 1935, p. 132-134. D’autres villes ont été le théâtre d’initiatives analogues lors des municipales de 1935. A Marseille, 4 associations féministes s’étaient regroupées pour soumettre au vote des femmes un programme, dont l’article premier comportait l’égalité politique des deux sexes. Plus de 28 000 femmes sont venues déposer leur bulletin (ibid. p. 134-135). 
[25] Dans son arrêté du 20 mai 1935, créant 6 postes de conseillères municipales adjointes (qui seront élues, nous le verrons, par les femmes de la commune), le maire de Dax s’appuie sur l’article 94 de la loi du 5 avril 1884, article « spécifiant que le maire peut prendre des arrêtés pour ordonner les mesures locales sur les objets confiés par les lois à sa vigilance et à son autorité » (AM Dax, 1K 405).
[26] Bulletin municipal officiel de la ville de Villeurbanne, mai 1935 (AM Villeurbanne).
[27] L’initiative de L. Goujon est déjà connue, avant la publication de l’arrêté du 12 avril.
[28] La Française, 18 mai 1935.
[29] La Française, 8 juin 1935.
[30] La Française, 4 janvier 1936.
[31] Et même 45 communes, selon Suzanne Desternes (Trente ans d’efforts au service de la cause féministe, Paris, 1959, p. 17), qui cite un rapport établi en 1937 par l’Union Nationale pour le Vote des Femmes (UNVF), autre association féministe.
[32] A l’exception, notamment, de Guillaumes (dans les Alpes-Maritimes), dont nous parlerons plus loin et qui ne compte qu’un millier d’habitants.
[33] La Française, 13 juillet 1935.
[34] La Française du 26 septembre 1936 précise que des conseillères ont été élues par les femmes à Ussel et signale même que 281 femmes ont voté. Mais les archives municipales ne conservent aucune trace de cette élection. D’autre part, à Lorient, une expérience originale associe élection et nomination par le maire. La section locale de l’UFSF, ayant obtenu de deux des listes la promesse de nommer des conseillères adjointes après les municipales,  organise, le jour du scrutin et en marge des bureaux officiels, une consultation parallèle : les électeurs sont invités à déposer dans les urnes un bulletin comportant les noms des 6 militantes candidates à ces postes. Le nouveau conseil municipal ratifiera ensuite ce choix (La Française, 18 mai 1935).
[35] La présidente des Dames de charité y figure aux côtés de la présidente de l’UNVF.
[36] La Française, 6 juillet 1935.
[37] Le Petit Niçois, en rendant compte de cette élection dans son édition du lendemain, parle, certes, des inscrits et des votants, mais on peut penser qu’il s’agit d’un masculin dicté par l’habitude. En effet, La Française du 26 septembre 1936 précise que la liste électorale comprendra toutes les femmes âgées de 21 ans nées dans la commune ou ayant trois ans de séjour. La faible participation (78 votants pour 265 inscrits, selon Le Petit Niçois, soit 29,4 %) peut s’expliquer par les conditions du scrutin : ouvert à 13 heures, il a été clos à 16 h
[38] Pour cette même raison, le maire de Courbevoie, plutôt que de désigner des conseillères, préfère créer une commission consultative extra-municipale des œuvres sociales, où ; aux côtés de conseillers, de fonctionnaires et de personnalités de la ville, il fait entrer 6 femmes nommées par lui (arrêté municipal cité par Le Droit des Femmes, mars 1936, p. 41).
[39] Le Droit des Femmes, mars 1936, p. 38. Rendant compte de l’élection de Louviers dans son numéro de février 1937, la revue écrit : « La comédie continue ! ».
[40] Mendès France s’était documenté sur ces expériences. Un hebdomadaire d’études municipales, La Mairie, avait consacré sa première page, dans son numéro du 28 juin 1936, aux conseillères adjointes, sous le titre «le féminisme au pouvoir ». Ce numéro figure dans le dossier de la réunion du conseil municipal de Louviers du 25 juillet 1936, au cours duquel sera décidée la création de 6 postes de conseillères (AM Louviers, 1D 546).
[41] Les inscriptions sont reçues jusqu’au 8 novembre. Les réclamations doivent être déférées à une commission spéciale présidée par un magistrat, jusqu’au 21 novembre.
[42] 1er août 1936.
[43] AM Louviers, 1K 278, copie d’une circulaire du comité radical de Louviers.
[44] Compte tenu du corps électoral masculin (2 752 électeurs en 1936) et de l’écart existant entre hommes et femmes, on peut estimer l’électorat féminin potentiel (en retenant comme ordre de grandeur 52 % de femmes pour 48 % d’hommes) à 2 981 électrices. Les inscrites représenteraient donc 73,5 % du corps électoral théorique (70,7 %, si l’on retient 53 % de femmes pour 47 % d’hommes).
[45] Les archives municipales de Louviers conservent une pièce qui ne laisse aucun doute à ce sujet : le brouillon d’une lettre adressée par Mendès France à l’imprimeur Godéchal, à propos d’une facture de 245 francs concernant « les élections féminines de Louviers ». Pour le paiement, il conseille de facturer les frais de la manière suivante : « 1/3 à Fromentin, président du comité radical de Louviers, 1/3 à Vimard, président du parti communiste, 1/3 au président du parti SFIO (sic)» (AM Louviers, 1K 278).
[46] « Appel à la population de Louviers », La Dépêche de Louviers, 11 décembre 1936.
[47] Au lendemain du second tour, il écrit à l’une des candidates, Mme Bornet, pour la remercier de sa « collaboration » et regretter son échec (AM Louviers, 1K 278, lettre datée du 22 décembre 1936).
[48] La Dépêche de Louviers, 11 décembre 1936.
[49] L’Industriel de Louviers, 19 décembre et 26 décembre 1936. La Dépêche de Louviers du 25 décembre signale, elle aussi, que le scrutin s’est déroulé autrement que le maire ne l’aurait désiré, mais sans préciser davantage : « Il avait conçu l’établissement d’une liste correspondant bien aux aspirations de la ville. Malgré ses efforts, cette liste n’a pu être constituée ». 
[50] Calcul possible grâce à la liste électorale conservée aux archives municipales (1K 278). Ce pourcentage reste modeste, si l’on se souvient que la liste ne comprend que les femmes qui se sont fait inscrire. Sans doute certaines ont-elles été inscrites par leur mari, comme le souhaitait le maire, ce qui pourrait expliquer l’abstention de près du quart d’entre elles. Pour l’anecdote, signalons que l’épouse de P. Mendès France, dont le nom figure bien sur la liste, n’est venue voter ni au premier, ni au second tour.
[51] La Dépêche de Louviers, 25 décembre 1936. En réalité, à cette date, la Ligue des Croix de Feu a été dissoute et, à sa place, le colonel de La Rocque a fondé en juillet le Parti Social Français, qui s’implante dans l’Eure et en particulier à Louviers. Mais l’ancienne appellation a, dans la presse de gauche, une connotation de ligue factieuse et fasciste.
[52] La Normandie, 25 décembre 1936.
[53] L’article 1er du règlement indiquait seulement qu’elles exerceraient dans toute la mesure compatible avec la loi les attributions des conseillers municipaux.
[54] AM Louviers, 1D 551, réunion du conseil du 13 février 1937.
[55] Lettre conservée aux AM de Louviers (1K 278) et reproduite dans La Française du 19 décembre 1936. Mais cette précision ne figure pas dans le discours prononcé par Mendès France dans la séance du 13 février 1937.
[56] Propos rapportés par L’Industriel de Louviers, 20 février 1937.
[57] AM Louviers, 1K 278.
[58] Ministre de l’intérieur de L. Blum, il s’était donné la mort le 18 novembre 1936, à la suite d’une campagne calomnieuse de la presse d’extrême droite.
[59] Comme pour toutes les séances du conseil municipal évoquées dans la suite de l’exposé, nous nous appuyons sur les comptes rendus fournis par la presse locale. Les registres des délibérations conservés dans les archives municipales, en effet, ne soufflent mot des discussions et des propos échangés.
[60] Chacune a reçu des affectations précises dans les commissions municipales et extra-municipales. Elles sont chargées aussi de la surveillance des écoles. Mlle Dubois, par exemple, est membre de la commission des finances et de la commission des travaux et chargée de l’école maternelle Saint-Germain. Mme Le Pelletier est membre de la commission de la voirie, de la commission de la cantine scolaire et chargée de l’école du Mûrier.
[61] L’Industriel de Louviers, 25 février 1938.
[62] Séance du 9 juillet 1938. C’est le 19 novembre 1937 que Mme Lemercier avait fait cette suggestion.
[63] Séance du 25 février 1938.
[64] C’est à tort manifestement que La Dépêche de Louviers du 28 mai signale que les femmes ont participé au vote. Dans le vote sur le voyage aux seuls élèves des écoles publiques, il y a eu 11 voix pour et 13 contre, or, comme le précise le registre des délibérations, 24 conseillers étaient présents.

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