Les ouvrages anciens qui garnissaient les rayons de la Rotonde souffraient de manque d'entretien, de mauvaises conditions de conservation et n'étaient guère accessibles à d'éventuels lecteurs.

Plus grave, des désordres dans l'étanchéité de la salle ont semble-t-il conduit à une infestation par un insecte: l'anthrène qui se nourrit de fibres et creuse des galeries à l'intérieur des livres.

 

 

Livres gravement endommagés par les anthrènes et l'humidité.

La première chose à faire était de sortir les livres des rayons et de les traiter afin de détruire les insectes. La méthode employée, déjà utilisée pour les collections du Musée fut l'anoxie. Ce procédé consiste à confiner les livres dans une enceinte étanche dont on extrait l'oxygène que l'on remplace par de l'azote. L'opération fut réalisée dans la Rotonde elle-même.

Opération d'anoxie sous bâches plastiques

Soigneusement emballés les ouvrages furent ensuite tranférés à la Médiathèque, pour y être contrôlés puis stockés.

Les locaux de l'ancien laboratoire de langues réaménagés accueillent maintenant les collections de la Rotonde dans de bonnes conditions de conservation et d'accès.

Il faut encore que les livres soient nettoyés, dépoussiérés. Les reliures ont aussi beaucoup souffert et doivent être entretenues et restaurées. Un important travail de classification est commencé afin de rendre ce fonds ancien, un des plus importants de Normandie, consultable.

     
Certaines reliures sont très endommagées.

        

Manuscrit, provenant de l'abbaye de Bon Port
Marque de libraire : "à l'enseigne des trois vertus couronnées"
Incunable : "Le propriétaire des choses", 1486
trois des trésors du fonds ancien.

 

 

photos Médiathèque de Louviers.

 

L'exposé de Madame Isabelle ARNAUD

Présentation des démarches entreprises pour la sauvegarde des ouvrages anciens de la bibliothèque de la Rotonde

PREAMBULE

Le fonds premier de la Bibliothèque municipale de Louviers se compose d'ouvrages confisqués, vers 1793, aux couvents proches de Louviers. L'importance et le nombre de ces établissements nous permettent aujourd'hui de conserver des ouvrages anciens en grand nombre. Vers 1843, le bibliothécaire Louis Bréauté dresse un catalogue de ces livres en les classant par grands thèmes : théologie, jurisprudence, sciences, belles-lettres et histoire.

Parmi les plus précieux se trouvent les manuscrits, la bibliothèque en conserve trente six. Dix sept proviennent de la Chartreuse de Bourbon les Gaillon qui avait hérité d'une partie des manuscrits que le cardinal Georges Ier d'Amboise avait acquis du dernier des rois aragonais de Naples Ferdinand III et fait transporter dans son château de Gaillon.
Nous savons aussi que 8 de ces manuscrits proviennent de l'abbaye de Bon-Port et que nous aurions sans doute pu en recevoir beaucoup d'autres. En effet, en 1683 Colbert avait obtenu des moines de cette abbaye, moyennant la somme de 440 livres, que 87 manuscrits puissent intégrer sa bibliothèque personnelle à Paris.

D'autres ouvrages très précieux appartiennent également à ce fonds : les incunables (il s'agit des ouvrages imprimés avant la naissance de la typographie). Un travail recensant ces ouvrages dans les bibliothèques de Haute-Normandie vient d'être terminé par Valérie Neveu et édité chez Droz ¹. Ce recensement nous a permis de savoir que la bibliothèque de Louviers conserve 41 incunables ce qui en fait le deuxième fonds de la région Haute-Normandie.

Outre les manuscrits et les incunables, un nombre important d'ouvrages, environ 5000 volumes, imprimés jusqu'au début du 19e siècle compose ce fonds.

CONSERVATION DES DOCUMENTS ANCIENS EN BIBLIOTHEQUE

Il faut savoir que tous les fonds des bibliothèques issus des confiscations révolutionnaires appartiennent à l'Etat. Les villes en sont dépositaires et ont la responsabilité de les conserver dans les meilleures conditions possibles.

A ce propos un certain nombre de recommandations sont éditées par le Ministère de la Culture, sous la forme notamment de notes techniques, telle que : "Protection et mise en valeur du patrimoine des bibliothèques : recommandations techniques"

En outre, aujourd'hui la restauration d'un livre ancien n'est plus l'aboutissement, c'est une des techniques pour pouvoir le conserver le mieux possible. Le principe qui prévaut maintenant est celui de la conservation préventive. Il faut tenter de réunir toutes les conditions pour conserver au mieux les ouvrages et ainsi éviter une dégradation de leur état physique.
Il est recommandé d'utiliser des matériaux pour le conditionnement (papier neutre, carton sans acide ...), les étiquettes ...qui répondent aux normes de conservation. Il faut également veiller à réunir les conditions les meilleures dans les locaux où sont entreposés les livres : règles en terme de température (environ 20°C), de luminosité (pas de lumière naturelle) de taux d'humidité, ...

A ces principes, actifs depuis longtemps, a été ajouté en 2005 un Plan d'action pour le patrimoine écrit (PAPE) diligenté par l'Etat et dont la réalisation a été confiée aux Directions régionales des affaires culturelles.
En Haute-Normandie, une chargée de mission, Marie-Claude Pasquet, a réalisé un état des lieux des collections patrimoniales de 36 établissements.
Dans l'Eure, l'abbaye du Bec-Hellouin, les bibliothèques de Bernay, Conches-en-Ouche, Evreux, Louviers, Pont-Audemer, Verneuil et Vernon étaient concernées.
A cette intention un questionnaire a été élaboré et a permis de faire le point sur les locaux, les collections (typologie des documents, entretien, mobilier ...), la gestion des collections (personnel, traitement ...), la mise en valeur, les projets ...
Afin de répondre à toutes ces questions, nous nous sommes penchés de manière approfondie sur les ouvrages conservés à la Rotonde et c'est à cette occasion, en mai 2005, que nous avons découvert la présence d'insectes vivants dans certains d'entre eux.

INFESTATION DES COLLECTIONS ET TRAITEMENT PAR ANOXIE

Une infestation dans les collections d'une bibliothèque est toujours un problème d'une gravité certaine. Le problème apparaissait d'autant plus grave que cette infestation était active. En effet, un insecte vivant avait été retrouvé, il a fallu dès lors agir rapidement.
La première des recommandations est d'essayer d'identifier les insectes en question. Nous avons donc consulté un entomologiste au Muséum d'histoire naturelle de Rouen. L'identification a été rapide : il s'agissait d'anthrènes. Ce sont des insectes de la famille des coléoptères, non xylophages mais se nourrissant de matériaux organiques (fibres,...). Ils sont d'ailleurs très connus dans les muséums car ils affectionnent particulièrement les fourrures des animaux naturalisés.

Une fois l'identification effectuée, nous avons pris contact avec la Bibliothèque nationale de France et plus particulièrement avec le laboratoire scientifique et technique de Bussy-Saint-Georges. C'est lui qui nous a orientés vers une entreprise rouennaise habilitée à mettre en oeuvre un traitement de nos collections.
Concernant les livres et les objets d'arts, la solution la plus fréquemment utilisée est le traitement par anoxie. Il s'agit d'un traitement insecticide naturel par privation d'oxygène qui n'a aucune conséquence sur les objets traités. Il permet d'éliminer toutes activités d'insectes dans l'objet traité en isolant celui-ci dans une poche remplie d'azote liquide. Il s'agit de tendre vers 0% d'oxygène à l'intérieur des poches.

En ce qui concerne la Rotonde, il a été décidé de traiter l'ensemble des ouvrages en un seul lot dans la salle même et dans un second temps de procéder à une fumigation des locaux.
Les livres ont, tout d'abord, été mis en cartons : ce qui a représenté 550 cartons pour exactement 8426 volumes. Puis ces cartons ont été répartis sur 4 bâches (3 dans la salle de la Rotonde et 1 dans les réserves du musée). Une fois les cartons positionnés, une autre bâche, plus grande, les a recouverts et a été thermocollée à celle posée sur le sol. Il s'agissait de former une enveloppe la plus hermétique possible autour des cartons afin de la remplir d'azote liquide sans fuite. Les livres sont restés entreposés ainsi pendant environ 6 semaines.

Il faut savoir que la désinfestation est une méthode curative et seulement curative. Elle ne protège pas d'une nouvelle infestation des collections qui se trouveraient à nouveau dans un environnement malsain. Il est apparu alors illusoire et vain de mettre en place un dispositif lourd, coûteux et obligeant à des manipulations toujours problématiques pour des ouvrages anciens si les collections devaient réintégrer des locaux sans garantie aucune.

INSTALLATION DES OUVRAGES DE LA ROTONDE A LA MEDIATHEQUE BORIS VIAN

Dans ce contexte, une salle permettant le stockage d' environ 350 mètres linéaires de volumes a été aménagée dans les locaux de la médiathèque en lieu et place de l'ancien laboratoire de langue. Cette salle répond aux normes en terme de conservation : pas de lumière naturelle, contrôle de la température et de l'humidité.
Des rayonnages métalliques sont répartis dans cette salle. Ils se composent de tablettes amovibles et réglables permettant ainsi de ranger les livres par format pour une meilleure tenue du livre et un gain de place réel. Les ouvrages ont été disposés sur les étagères selon l'ordre de classement établi par Louis Bréauté dans son catalogue.

Le travail en cours actuellement est un travail de répertoriage, de nettoyage et de conditionnement, livre par livre.

¹ Catalogues régionaux des incunables des bibliothèques publiques de France Volume XVII, Haute-Normandie, Ministère de la culture, Direction du livre et de la lecture ; rédigé par Valérie Neveu ; ouvrage publié avec le concours scientifique du Centre d'études supérieures de la Renaissance, Université François-Rabelais, Tours. Droz, 2005 (École pratique des hautes études, Sciences historiques et philologiques ; 6) (Histoire et civilisation du livre ; 28).