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Les bourreaux en Normandie.
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Le samedi 22 novembre 2008

Conférence de Monsieur Jean POUËSSEL
Président du Cercle d'Etudes Vernonnais

"Les bourreaux en Normandie de la fin de l'Ancien régime au premier Empire"

 

 

Les bourreaux en Normandie de la fin de l'Ancien Régime au Premier Empire

 

Sous l'Ancien Régime, ceux que l'on nomme les exécuteurs de la haute justice (ou maîtres des hautes œuvres) sont chargés d'exécuter les peines corporelles prononcées par la justice criminelle. La tâche du bourreau ne consistait pas seulement à exécuter un condamné à mort. Il devait également faire subir des châtiments corporels décidés par jugement.

La grande loi réglementant l'intervention des bourreaux avant 1789 était l'ordonnance criminelle d'août 1670. L'arsenal des peines et des supplices exécutés par le bourreau était le suivant : la peine de mort (principalement par pendaison ou sur la roue), la question (torture légale), la flétrissure (marque au fer rouge), la fustigation en public, le carcan, l'amende honorable. Sous l'Ancien Régime, on ne condamnait pas à l'emprisonnement pour une longue durée. La prison n'était pas une peine, mais un lieu destiné à retenir les prévenus avant et pendant le procès.

Le métier de bourreau n'était pas un métier comme les autres. L'exécuteur était quotidiennement confronté à la violence, au sang, souvent à la mort, au sein d'une société elle-même habituée à davantage de violence qu'aujourd'hui.

La fonction d'exécuteur est une charge, un office, un titre donnant le pouvoir d'exercer une fonction publique, dont le titulaire est pourvu par lettres de provision du roi (ou du seigneur justicier). Comme les autres offices, celui d'exécuteur est sujet à la vénalité et à l'hérédité.

Les exécuteurs exercent auprès des nombreux tribunaux de bailliages et sièges présidiaux. A la fin de l'Ancien Régime, on dénombre plus de cent soixante exécuteurs de la haute justice dans le royaume de France. En Normandie, leur nombre a fluctué dans le temps. En 1789, les exécuteurs ne sont plus que neuf pour toute la province. Ils sont établis à Alençon, Caen, Caudebec-en-Caux, Evreux, Falaise, Gisors, Pont-Audemer, Pont-l'Evêque et Rouen.

Dans la société d'Ancien Régime, l'exécuteur occupe une place à part. Vil, immonde, méprisé, le bourreau est assimilé au boucher, à l'écorcheur, au vidangeur (nommé sous l'Ancien Régime maître des basses œuvres). Il exerce une fonction malsaine. Mais c'est un personnage ambivalent, car le bourreau n'en détient pas moins une charge royale qui lui procure une certaine richesse et de la considération de la part du pouvoir. On fuit son contact mais, en même temps, le bourreau est la vedette d'un spectacle qui fascine les foules.

A la fois méprisés et craints par le peuple, les bourreaux et leurs familles sont l'objet d'une exclusion sociale. C'est un marginal qui réside généralement dans un faubourg de la ville. Le préjugé défavorable attaché à la fonction et l'isolement social ont entraîné la constitution de véritables dynasties d'exécuteurs. Ceux-ci opèrent au sein d'équipes ; ils sont entourés d'aides, de valets, généralement membres de la famille ou d'une autre famille de bourreaux, des hommes habitués dès l'enfance au spectacle public de la souffrance et de la mort.

Comme dans tout le royaume, on trouve des dynasties de bourreaux en Normandie. A la fin de l'Ancien Régime, six offices d'exécuteur sur neuf sont aux mains de membres de deux familles de bourreaux, d'ailleurs alliées par mariages : les Ferey et les Jouënne (ou Jouanne).

L'office le plus important de la province, celui de Rouen, ainsi que l'office de Pont-Audemer sont exercés par des membres de la grande famille Ferey. A Rouen, en 1789, il y a trois titulaires de l'office d'exécuteur : Charles Ferey et ses neveux Nicolas et Charles Louis.

Les Jouënne détiennent les offices d'Evreux, Caudebec-en-Caux, Falaise et Caen. Dans cette dernière ville exerce Charles Louis Jouënne, dit Jouënne l'aîné, marié à une fille Ferey. Son jeune frère Nicolas Richard Jouënne a pour sa part succédé à leur père à Caudebec-en-Caux, mais il doit partager l'office d'exécuteur des sentences criminelles du bailliage et siège présidial avec sa mère, sœur des Ferey exécuteurs à Rouen. Les deux frères Charles Louis et Nicolas Richard exercent conjointement l'office d'exécuteur du bailliage de Falaise. Enfin, à Evreux opère une autre branche de la famille Jouënne, également alliée aux Ferey.

A Pont-l'Evêque, les Lacaille se succèdent de père en fils à l'office d'exécuteur du bailliage d'Auge. A Gisors, en 1789, l'exécuteur du bailliage et siège présidial appartient à la famille Olivier, qui exerce surtout dans l'Ile-de-France voisine. A Alençon, ce sont les Boistard.

 

Conformément aux principes « administratifs » de l'Ancien Régime, le bourreau est titulaire d'un office royal, il exerce une fonction publique, mais il n'est pas rémunéré par le roi, il ne reçoit pas de traitement. Jusqu'à la réforme de 1775, les exécuteurs tiraient l'essentiel de leurs revenus de deux sources : les droits de havage prélevés sur les grains et autres denrées, et un droit sur chaque intervention, au tarif variable selon la nature de cette intervention et selon les bailliages. Ce paiement à la vacation n'aurait pu assurer la subsistance du bourreau. On lui concède donc le droit de prélever une sorte d'impôt en nature sur toutes les marchandises amenées sur le marché, le droit de havage. Ce doit consistait donc à prendre directement dans les marchés une « poignée », autant que la main pouvait en contenir, des marchandises exposées à la vente. Ce prélèvement permettait au bourreau de nourrir sa famille, souvent très nombreuse.

Paradoxalement, les revenus des exécuteurs, variables et irréguliers puisque fonction du nombre d'interventions, étaient cependant dans l'ensemble appréciables. Les droits de havage sur les grains constituaient la part la plus importante de leur rétribution (entre 70 et 90 %).

La rémunération des exécuteurs fut réformée en 1775, au moment de la libéralisation du commerce des grains, voulue par Turgot, suivie des troubles connus sous le nom de « Guerre des farines ». Un arrêt du Conseil du roi du 3 juin 1775 supprima la perception du droit de havage, qui pouvait provoquer des révoltes sur les marchés et qui augmentait l'impopularité du bourreau.

La suppression du droit de havage sur les grains changea la nature et le volume des revenus des exécuteurs. Les redevances sur les grains furent remplacées par une allocation compensatrice, convertie en argent, prélevée sur le Domaine. Pour les exécuteurs, la substitution s'accompagna d'une baisse considérable des revenus. La chute des revenus des exécuteurs fut énorme. En conséquence, à la fin de l'Ancien Régime, bien des exécuteurs connaissent de graves difficultés pour nourrir des familles généralement nombreuses.

 

Les débuts de la Révolution sont marqués par la remise en question des fonctions et des rétributions des exécuteurs. D'abord, comme tous les autres offices, celui d'exécuteur des jugements criminels est supprimé par l'Assemblée constituante. L'emploi d'exécuteur devient une simple fonction publique ; les exécuteurs seront désormais des fonctionnaires salariés par la nation.

Les assemblées révolutionnaires vont réformer le mode d'exécution de la peine capitale avec l'adoption de la guillotine. Les premières machines sont envoyées de Paris à partir de l'été 1792. Quant à l'échafaud, il doit être confectionné sur place par un charpentier.

Parallèlement au changement de mode d'exécution, les assemblées révolutionnaires se penchent sur le statut social des bourreaux qu'on essaie de réhabiliter. Il s'agit de légitimer la fonction et de montrer l'incohérence de son infamie. Les bourreaux se voient ainsi accorder les pleins droits de citoyen.

La Convention va mettre la dernière main à la réorganisation du métier d'exécuteur en fixant le nombre des bourreaux et leur rémunération avant de procéder aux nominations. Un décret de la Convention du 13 juin 1793 décide qu'il y aura dans chaque département un exécuteur des jugements du tribunal criminel. Cinq exécuteurs exerceront donc désormais en Normandie.

Le traitement des exécuteurs sera à la charge de l'Etat, avec un barème variable selon l'importance de la ville. En Normandie, l'exécuteur de Rouen, seul chef-lieu de département comptant plus de 50 000 habitants, recevra 4 000 livres par an et les autres 2 400 livres. Les exécuteurs que la nouvelle loi prive d'emploi recevront un secours annuel de 600 livres jusqu'à ce qu'ils retrouvent une place. Enfin le ministre de la Justice tiendra un tableau des exécuteurs non employés servant à les nommer «  suivant l'ordre de leur ancienneté  » aux places vacantes.

Pour finir, on procède à la nomination des nouveaux exécuteurs, à raison d'un seul par département. Charles Ferey, exécuteur à Rouen, le plus ancien de Normandie, est nommé seul exécuteur des jugements criminels du département de Seine-Inférieure, malgré son âge et sa mauvaise santé. A Evreux, les deux cousins Nicolas Louis et Charles Jouënne ne peuvent continuer à exercer conjointement. C'est Nicolas Louis Jouanne qui est reçu seul en qualité d'exécuteur des jugements criminel du département le 31 octobre 1793.

La situation du département de la Manche est particulière puisque aucun exécuteur n'avait sa résidence sur son territoire avant la Révolution. C'est celui de la généralité Caen, Charles Louis Jouënne, qui exerçait. A la fin de l'année 1793, l'expédition des Vendéens sur Granville et les troubles qui s'ensuivirent montrèrent l'urgence de la nomination d'un exécuteur à demeure dans le département. L'exécuteur de Pont-l'Evêque, Charles Lacaille, resté sans emploi, fut admis à exercer les fonctions d'exécuteur auprès de la commission militaire établie à Granville par le conventionnel Lecarpentier, de janvier à mai 1794, puis fut autorisé à exercer les mêmes fonctions à Coutances auprès du tribunal criminel du département de la Manche.

A Caen, la fonction d'exécuteur ne change pas de titulaire. Charles Louis Jouënne, dit Jouënne l'aîné, l'ancien exécuteur de la généralité de Caen, reste exécuteur pour le seul département du Calvados. Dans l'Orne, la situation reste longtemps confuse. C'est finalement Pierre Gasnier, fils de l'exécuteur de Rennes, qui exerce les fonctions d'exécuteur à Alençon, en attendant que le jeune Jacques Boistard, âgé de 14 ans en 1793, atteigne la majorité.

Ainsi, les cinq exécuteurs nommés sous la Révolution étaient tous d'anciens bourreaux de la justice d'Ancien régime.

Les nominations de 1793 ont laissé sans emploi nombre d'exécuteurs dont il faut maintenant régler le sort : ceux qui exerçaient dans des villes qui ne sont pas devenues le siège d'un tribunal criminel (Caudebec-en-Caux, Falaise, Gisors, Pont-Audemer, Pont-l'Evêque) et ceux qui exerçaient en « surnombre », à Rouen et à Evreux.

A Rouen, Charles Ferey démissionne en faveur de son fils, le 17 janvier 1795. L'ancien exécuteur de Caudebec-en-Caux, Nicolas Richard Jouënne, va rester inemployé jusqu'à sa mort, le 12 avril 1798. A Evreux, après la nomination de Nicolas Louis Jouanne, son cousin Charles réclame la pension de 600 livres accordée aux exécuteurs sans emploi. Il ne l'obtient qu'après multiples réclamations, en janvier 1794. L'ancien exécuteur de Pont-Audemer, François Joseph Ferey, a quitté la ville et s'est établi à Rennes, avant de revenir dans l'Eure et de toucher une pension jusque sous la Restauration.

L'ancien exécuteur du bailliage de Gisors, Jean Louis Olivier, reste non employé. Sous le Consulat, il perçoit toujours un secours du gouvernement, mais on le juge désormais trop âgé pour exercer (il a 64 ans en 1799). Olivier traverse pourtant toute la durée de l'Empire et touche sa pension de 1 000 francs au moins jusqu'en 1814, à 79 ans.

La nouvelle législation concernant les exécuteurs des jugements criminels, élaborée par les assemblées révolutionnaires, reste inchangée sous le Consulat et l'Empire. Plusieurs changements d'hommes interviennent pendant cette quinzaine d'années.

A Evreux, une substitution a lieu en 1802. Le titulaire, Nicolas Louis Jouënne, permute avec André Thomas Ferey, né à Rouen, fils d'exécuteur, ancien aide de l'exécuteur du département de la Seine-Inférieure, devenu exécuteur des jugements criminels du département de la Vendée.

A Alençon, Pierre Gasnier, qui remplit les fonctions d'exécuteur des jugements criminels depuis de nombreuses années sans en avoir le titre, est officiellement nommé en février 1804 et reste en fonction jusque sous la Restauration. Dans la Manche, en août 1806, Charles Lacaille, âgé de plus de soixante ans, obtient d'être remplacé par son gendre François Lubin Desmorest. fils de l'ancien exécuteur des sentences criminelles du bailliage de Senlis. Charles André Ferey, exécuteur à Rouen depuis 1795, est remplacé après sa mort le 29 avril 1811. En revanche, Charles Louis Jouënne, l'ancien exécuteur de la généralité de Caen, en fonction depuis 1779, reste exécuteur dans le Calvados jusqu'à sa mort sous la Restauration.

 

On s'est employé, à partir de 1789, à relever le statut social des exécuteurs. Mais, malgré les réformes révolutionnaires, cette réhabilitation est restée très théorique. Les exécuteurs n'ont pas gagné en prestige auprès de leurs concitoyens. Il n'y a pas eu de réconciliation entre la société et les bourreaux. Comme sous l'Ancien Régime, les bourreaux ne peuvent échapper aux conséquences du « malheureux préjugé ». En raison du préjugé restant attaché à la fonction, les places d'exécuteurs sont devenues pour ainsi dire héréditaires. Les exécuteurs ne tolèrent d'ailleurs pas que de nouveaux venus tentent de s'installer dans la carrière.

En conclusion, on peut s'interroger sur le paradoxe de l'infamie qui marque le métier de bourreau. En effet, cette infamie est épargnée au juge qui condamne à mort ou à la torture, sous l'Ancien Régime, ainsi qu'à la société dans son ensemble. Elle se reporte tout entière sur l'agent subalterne qui exécute la sentence. La collectivité dispose d'un bouc émissaire chargé de l'impureté du sang répandu. Et en même temps on se presse au pied de l'échafaud pour jouir du spectacle.

Jean Pouëssel

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