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Le 1er mars dernier un public attentif a suivi la conférence de M. Trotin, consacrée à l'histoire du jansénisme et aux résonnances de cette doctrine à Louviers.
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Si I' on connait souvent Ie jansénisme et ses discussions sur la nature de la grâce et de la prédestination par le prisme que présente l'histoire ô combien controversée de la célèbre abbaye de Port-Royal avec les hautes figures d'une Mère Angélique, d'un Arnauld, d'un Pascal, d'un Quesnel, on ignore souvent à quel point ce mouvement religieux et doctrinal fut un puissant acteur de l'histoire du royaume de France au dix-huitième siècle et combien il connut un singulier retentissement au sein de la province normande. | ![]() |
La controverse avait alors quitte l'arène austère des facultés de théologie et des studia conventuels pour prendre place dans la vie quotidienne des catholiques avec l'énergie que nombre de polémistes mirent à se battre après la non moins fameuse bulle Unigenitus .
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Ci-dessous, l'intégralité du texte de M. Trotin |
D'autant que Louviers a donné naissance à un célèbre janséniste : Jean-Baptiste Gaultier né en 1685, fils d'un apothicaire mais qui appartient à une famille comptant de nombreux chirurgiens. Entré au service successivement des évêques de Boulogne et de Montpellier (un Colbert), il se retire ensuite à Paris ou il écrit de nombreux textes polémiques en faveur de Ia cause janséniste, notamment contre les Jésuites. II n'hesite pas non plus a s'attaquer à Voltaire ou Montesquieu. n meurt en 1755 d'un accident de voiture a Gaillon ou il est enterré dans le chœur de l'église. | ![]() |
Quand Louviers était janséniste. Aperçu de l’histoire religieuse lovérienne au dix-huitième siècle. S’il est un serpent de mer de l’historiographie, c’est à coup sûr au jansénisme que l’on pourrait penser. En effet, rares ont été les thèmes de la recherche historique qui peuvent prétendre avoir ainsi retenu l’attention des chercheurs tout en déchaînant toujours les passions, jusqu’à nos jours, comme la chicane devait toujours être un élément rédhibitoire de ce qu’est le jansénisme. Mais si la question n’a jamais laissé qui que ce soit insensible, c’est qu’elle eut des partisans aussi acharnés à la défendre que des contempteurs décidés à l’anéantir, ce dès les premières heures de son existence. Cette querelle du jansénisme va nous transporter dans la France d’Ancien Régime mais elle m’a paru trop vaste et trop complexe pour en venir immédiatement au cœur de mon propos, à savoir l’histoire religieuse lovérienne. Vous souffrirez donc que je remette d’abord dans une perspective générale le problème du jansénisme avant d’en venir à la question du diocèse d’Evreux et de la ville de Louviers en particulier. Mais qu’est-ce donc que le jansénisme ? La question posée sous cette forme paraît bien simple voire simpliste ; elle est en fait insoluble tant elle recouvre une infinité de réalités historiques, dogmatiques, spirituelles, politiques, livresques, … A la question de la pluralité du jansénisme, on peut répondre en affirmant que ceux qui s’en recommandaient n’eurent jamais à la bouche et à l’esprit que l’unité de l’Eglise. Vous aurez reconnu là l’un des poncifs de la réflexion ecclésiologique de l’Eglise depuis ses premiers temps, Cyprien, évêque de Carthage au lendemain des persécutions de Dioclétien, en remplit de pleins volumes : dès qu’il y a rupture et que cette rupture remet en cause l’orthodoxie, réapparaît la question de l’unité. Et pour retrouver cette unité, on ne propose jamais qu’un seul et même remède : le retour à un avant, sorte d’ailleurs mythique, mythifié, un âge d’or que personne n’a connu mais auquel tout le monde rêve : l’Eglise primitive. Ce retour au temps apostoliques est cyclique : la réforme grégorienne, les grands conciles médiévaux comme le concile de Latran IV en 1215, le concile de Bâle, ou encore Vatican II, à quelques décennies de nous, le prouvent largement. Ainsi, au XVIIe siècle, nous nous trouvons au lendemain d’un très fameux concile qui, pour les catholiques, est aujourd’hui encore incontournable puisqu’il fut l’occasion de fixer les dogmes fondamentaux et le droit canonique de manière définitive : il s’agit du concile de Trente. Ouvert en 1545, il avait été convoqué en réaction à la Réforme protestante qui, outremont, faisait des ravages dans les rangs catholiques, ôtant avec une fulgurance sans pareille royaumes et principautés de l’emprise de la papauté romaine, comme en Allemagne, et créant de sanglants conflits dans des terres plus indécises où les plus radicaux des deux camps, catholiques et protestants, devaient s’affronter sans merci pour la plus grande gloire de Dieu… L’Eglise romaine avait ainsi convoqué un concile, solution qui lui avait toujours plutôt bien réussie au cours du Moyen Âge. Hélas pour les plus utopiques de ses pères, le concile de Trente, parce qu’il était le hochet du parti des intransigeants, devait bouter le protestantisme dans la géhenne éternelle, anathématisant les prétendus réformés, qu’ils fussent luthériens ou calvinistes, et en promulguant avec une force véhémente et toute l’autorité doctrinale de Parmi ces points, les pères conciliaires avaient défini nettement et proclamé le dogme de la transsubstantiation qui consiste à reconnaître, sous les formes des saintes espèces consacrées, le corps et le sang du Christ incarnés dans le pain et le vin au moment de Un autre dogme fut rappelé : celui de la prédestination et de Après le concile qui s’était achevé en 1563, une fois la France pacifiée et Henri IV sur le trône de France, on vit une floraison d’œuvres réformatrices pour remettre l’Eglise de France à flots. On réforma les diocèses et la province ecclésiastique de Rouen ne fut pas en reste, qui réunit un vaste concile où s’illustra notamment l’évêque d’Evreux, Claude de Sainctes. On entama la très difficile réforme des mœurs du clergé qu’il fût régulier ou séculier, on créa des ordres nouveaux parmi lesquels il faut citer les jésuites ou membres de la Société de Jésus fondée par Ignace de Loyola. Et, surtout, on entreprit une vaste croisade d’éducation des masses catholiques par des missions notamment menées dans nos régions par les infatigables frères capucins qui sillonnaient les villes et les campagnes pour prêcher, exhorter les bonnes gens à une vie sainte et pieuse dans le respect des règles édictées par leur Mère l’Eglise, et les inciter à pratiquer et à ne pas vivre les sacrements que comme des rites de passage. L’église réinvestissait le champ du social avec un esprit de croisade que des chercheurs comme Robert Sauzet ont bien mis en lumière. Un autre versus parmi les prolégomènes dont je ne puis faire l’économie : l’humanisme. Depuis la fin du XVe siècle, un certain renouveau des lettres avait permis, sous l’impulsion initiée par la découverte du corpus platonicien notamment, de donner un souffle nouveau à la philosophie ; une nouvelle vision de l’homme s’était peu à peu imposée au début du XVIe siècle dans les milieux cultivés et érudits, un homme fondamentalement bon et tourné vers le bien, capable de trouver Dieu dans l’étude notamment. Cette réflexion sur la place de l’homme devant Dieu aboutit à la publication, en 1588, d’un livre d’où nous reparlerons : La concorde du libre arbitre avec les dons de la grâce, du jésuite Luis de Molina. Cette utopie humaniste, qui n’a rien d’anthropocentrique mais qui demeurait alors christocentrique, en cela que l’homme n’est pas une quête pour soi mais ne se cherche qu’en tant qu’il cherche Dieu, fut tout d’abord contestée par les Réformés, confortés qu’ils étaient par le contexte des guerres de religion, et l’on citerait, par exemple, à l’envi les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné. Mais les milieux extrémistes catholiques ne furent pas en reste. Et l’on vit se dessiner, au tournant des XVIe et XVIIe siècles un anti-humanisme, très bien étudié aujourd’hui grâce notamment aux travaux d’Henri Gouhier et de ses étudiants. C’est dans cette veine en réaction à l’humanisme que se déploya le jansénisme. Il est né d’une réfutation du livre de Molina qui prônait la totale liberté de la créature pour faire son salut et transformer le monde à son gré, et qui avait en quelque sorte évacué Dieu de l’univers ; le Jardinier était expulsé du Jardin… Or tous les collèges jésuites adoptèrent ce système et la rivalité entre ces institutions scolaires performantes et très courues et la vieille université dont les enseignements étaient encore bien perclus (l’image du Sorbonnard à A l’inverse de la thèse moliniste, celle de Jansénius est fondée sur la corruption foncière de la créature à jamais maculée de la tache originelle. Il ne peut se sauver seul et doit attendre son salut d’une grâce purement gratuite que lui accordera peut-être Dieu. On parle du couple antagoniste concupiscence/grâce, qui fera dire à Pascal : « Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam ; et toute la morale en concupiscence et en grâce ». Il n’y a qu’une seule solution pour plaire à Dieu d’un cœur contrit : se convertir de manière absolue et abandonner les oripeaux de la vie peccamineuse et concupiscente. C’est à gros traits le grand fondement de la doctrine janséniste qui eut bien sûr des implications dogmatiques mais également morales et sociales au point que René Taveneaux put écrire une Vie quotidienne des jansénistes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mais pour connaître un tel succès, il fallut que le jansénisme rencontrât un catalyseur : ce fut le monastère de Port-Royal. En effet, l’abbesse du fameux monastère qui a donné son nom au mouvement et auquel on le réduit si souvent de manière bien étriquée, Le rayonnement spirituel de l’abbaye de Port-Royal fut tel que venaient s’y rassembler de grandes figures de la plus haute noblesse comme la duchesse de Longueville, veuve du gouverneur de Normandie et surtout héroïque frondeuse, ou Madame de Sablé pour ne citer qu’elles. Et ce fut d’ailleurs après avoir été interrogé par Mme de Sablé que le Grand Arnauld écrivit le livre qui fit date dans l’histoire du mouvement : De la fréquente communion. Il y prône un recours minimal à la communion eucharistique car le chrétien est avant tout un pécheur qui, loin de pouvoir trouver quelque réconfort et quelque nourriture spirituelle dans la consommation des saintes espèces, ne faisait jamais qu’entacher son âme d’un péché plus grave car il avait communié en ayant l’âme impure. Tout était dit : nul n’osait plus alors communier de peur d’aggraver son péché… Le grand engouement connu par Port-Royal, avec les Messieurs dont Pascal et Racine ne furent pas des moindres, posa problème tant à la couronne qu’à Rome. Les jésuites s’étaient dès le début montrés très hostiles aux positions de l’évêque d’Ypres dans lesquelles ils voyaient un renouvellement des thèses de Calvin. Ainsi, Ce fut un lamentable échec pour les autorités royales et ecclésiales. Le jansénisme triomphait aux yeux du monde. Il fallut réagir. En 1657, l’assemblée du Clergé de France, émanation de l’ensemble des bénéficiers du royaume convoqués pour s’entendre sur le montant du don gratuit, à savoir le montant de la contribution financière accordée aux caisses du trésor royal, imposa à tous les religieux et tous les prêtres la signature d’une déclaration qui désavouait les thèses de l’Augustinus. Deux arrêts royaux devaient confirmer l’obligation de signer ce qu’on appellerait le Formulaire. Evidemment, les religieuses de Port-Royal, abbesse en tête, refusèrent de signer suite à la conversion aussi miraculeuse qu’inattendue de la fille du peintre Philippe de Champaigne, dans laquelle les religieuses virent un signe de l’approbation divine à leur résistance. Or, le roi Louis XIV avait, quelques temps plus tôt, informé le Conseil de sa volonté d’extirper le jansénisme. Les religieuses finirent exilées en 1664. C’était le début d’une longue agonie, ce que les historiographes de Port-Royal appelèrent la « Grande Persécution » qui devaient conduire à la destruction de l’abbaye sous les ordres notamment d’un certain Jean Le Normant, futur évêque d’Evreux. Dernière figure incontournable, Pasquier Quesnel. Ce prêtre qui appartenait à la congrégation de l’Oratoire fondée par le cardinal de Bérulle et dont le séminaire fut une véritable pépinière de jansénistes, était très attaché à un augustinisme dur et noir. Réfractaire au Formulaire, Quesnel s’était enfui à Bruxelles où il avait retrouvé le Grand Arnauld, également exilé. Depuis son exil, il continuait à écrire et à publier des ouvrages de théologie de grande valeur par ailleurs. En 1693, il avait publié des réflexions morales dont Louis XIV, après avoir opéré un revirement politique en faveur des relations ultramontaines, fit condamner 100 propositions par le pape qui fulmina, le 8 septembre 1713, la fameuse bulle Unigenitus, qui cristallisa les affrontements. La bulle ne creva pas l’abcès. Pire, elle empira le mal : une partie de l’épiscopat français la rejeta et il fallut forcer la main à Revenons à notre jansénisme. La période de Comme les Parlements avaient rejetaient également les lettres Pastoralis oficii de 1718 qui excommuniaient les appelants, et puisque le puissant cardinal de Noailles, archevêque de Paris, était indécis, toutes les tentatives d’accommodement furent ruinées. Finalement, on tenta de revenir à une vieille recette du siècle précédent, la Paix clémentine, quand le pape Clément IX avait imposé le silence respectueux, c’est-à-dire avait interdit que l’on parlât du fond du débat. Mais ce fut un échec. Finalement, en 1722, à force d’exaspération, le Régent imposa la signature obligatoire du Formulaire d’Alexandre VII. Dès lors, les clivages furent incompressibles. Je ne vous ai rappelé que les éléments utiles à notre réflexion car l’histoire du jansénisme ne se limite pas à ces quelques passes d’armes, aussi grandioses soient-elles. Venons-en maintenant à la question du jansénisme en Normandie et à Louviers. La question est beaucoup plus délicate car nous manquons encore d’une vaste étude synthétique sur la Normandie religieuse et l’on s’est bien souvent contenté, de bon ou de mauvais gré, de quelques remarques publiées de ci de là dans diverses études générales. Il manque par exemple une étude sur la réception et le tollé provoqué en Normandie par un livre jésuite intitulé Apologie des Casuistes qui fit monter au créneau tous les grands chapitres cathédraux de C’est au XVIIIe siècle que le jansénisme dépassa le strict cercle des religieux et des controversistes, et eut un impact sur les populations. On ne cite plus les nombreux parlementaires rouennais qui appartinrent au Parti pas plus que l’on ne dénombre ceux des ecclésiastiques qui adhérèrent au jansénisme. Si le mouvement devait connaître dans les années 1730 des bouleversements apparentés à l’illuminisme avec les convulsionnaires de Saint-Médard qui devaient à jamais discréditer les partisans de Jansénius, La première occurrence de jansénisme à Louviers, on la repère incidemment dans une plaquette anonyme, publiée à Rouen en 1719. Cette Lettre à Monsieur Mallet, Prêtre de Louviers…relate une histoire qui paraîtra bien singulière. L’ Il faut dire que cet événement se situait dans un contexte particulièrement tendu. En effet, quelques temps plus tard, en 1727, le concile d’Embrun avait condamné l’évêque janséniste de Senez, Jean Soanen, et les appelants criaient à hue et à dia pour obtenir la réunion d’un concile national chargé de statuer sur ces questions hors de Rome dont ils ne reconnaissaient pas la primauté, en bons gallicans qu’ils étaient. L’initiative de l’ Mais, me direz-vous, si ces enfants avaient accepté la bulle, c’est que leurs parents ne devaient rien y entendre et qu’il leur sembla plus simple de céder aux objurgations du prêtre. Il semble que Louviers ne fut pas si tranquille qu’on le pourrait penser… Certes, la ville est restée célèbre jusqu’à nos jours pour ses possédées, l’abbé Picard, Madeleine Bavent, et l’on écrit encore de nos jours pour s’interroger sur le pourquoi et le comment de ces possessions énigmatiques. On a davantage oublié l’épisode janséniste. Et pourtant. Le bon Le jansénisme avait donc bien pénétré l’esprit des Lovériens et il ne faudrait pas oublier que Louviers avait donné naissance à l’une des gloires oubliées du jansénisme du XVIIIe siècle : l’abbé Jean-Baptiste Gaultier. L’auteur anonyme de S’il écrivit à tout propos pour défendre le Parti dans tout le Royaume de France, un jour à Montpellier, le lendemain à Boulogne, un troisième jour à Paris, il n’oublia pas sa province maternelle et son « spectre » devait y planer toutes ces années. Et c’est à lui que l’on doit Dire que l’abbé Gaultier fut un parfait contempteur des Jésuites, vous l’avez compris, n’est pas un jugement sévère. Et il fit de sa plume un boutoir contre le molinisme et toute forme d’humanisme chrétien, tout rigoriste qu’il était. On lui doit notamment un ouvrage publié posthumément intitulé Lettres théologiques dans lesquelles l’Ecriture sainte, Si la personnalité de l’abbé Gaultier dépasse de loin par son envergure et la variété des problèmes qu’il aborda le cadre de cette conférence, il est bon de garder son image à l’esprit car l’intransigeance qu’il manifestait volontiers n’était pas partagée par tous les Lovériens ; bien plus, la bonne ville drapante était coupée en deux et elle allait réapparaître au gré d’une célèbre affaire qui fit vaciller le Parlement de Rouen et dans laquelle on peut assurément voir l’origine de sa suppression. Le scandale ne vint pas de Louviers mais de Verneuil qui, au XVIIIe siècle, fut le théâtre d’une affrontement religieux d’une violence sans pareille, dont l’écho devait se retrouver jusqu’à Rouen, en passant par Louviers
[12]
. De quoi s’agissait-il ? D’un refus de sacrement. On entend par ce terme une série d’affaires qui consistaient toutes en une même trame : un prêtre appelant était à l’agonie et demandait le saint Viatique mais le confesseur qu’on lui envoyait exigeait qu’il signât le Formulaire et un billet de confession marquant l’adhésion à Or, à la fin d’avril 1753, l’abbé Le Fournier, prêtre habitué à Le scandale fut énorme et l’exemple de Verneuil éclaire celui de Louviers car on y voit une bourgeoisie divisée entre les pro-jansénistes et les pro-constitutionnaires, chacun s’étant attaché une partie du clergé ; on y voit également un clergé local divisé entre les jansénistes déclarés, regroupés et puissants, et les constitutionnaires protégés par leur évêque et capables de jouer de leurs relations et de leur entregent religieux pour arriver à leurs fins. La guerre ne faisait que commencer. On ne s’en tint pas au cas de l’abbé Le Fournier. Un laïque, Dodin, marchand de son état, ne fut administré, sur son lit de mort, qu’après avoir prêté serment de son adhésion à Les manœuvres dilatoires furent nombreuses, on déplaça l’évêque d’Evreux qui lui-même jouait aux chaises musicales avec le clergé vernolien pour éviter la réalité des poursuites parlementaires. Or, Mgr de Rochechouart disposait du soutien de la Cour et le Conseil d’Etat cassa chaque sentence du Parlement. Au cœur de ce brûlot, un autre scandale éclata alors à Louviers. Perturbés par les nouvelles qui arrivaient de Verneuil, les esprits s’échauffaient et le sermon prononcé le dimanche 8 juillet 1753 à Louviers par l’abbé Lamprières, vicaire de Notre-Dame, fit grand bruit. D’après le nouvelliste janséniste, on reprochait au clerc lovérien « d’avoir avancé plusieurs propositions séditieuses tendantes au Schisme, attentatoires à l’autorité du Roi & au respect dû aux Magistrats. Ce prône occasionna dans l’Eglise beaucoup de murmures, & fit grand bruit à Louviers. » On en instruisit le premier Président du Parlement, M. de Pontcarré, qui covoqua le vicaire afin de réduire cette affaire avant qu’elle ne vînt aux oreilles des parlementaires. Le 15 juillet, il envoya alors à Louviers le sieur Limare, huissier de Le président le reçut et impressionna suffisamment l’abbé Lamprières qui se défendit avec maladresse. Le président s’était saisi de son prône et, l’ayant lu, déclara : « Je n’y trouvai que beaucoup de propositions ultramontaines, assez mal conçues et mal appuyées. Le Vicaire me parut stupide et ignorant, au point que lui ayant parlé des Libertés de l’Eglise Gallicane, il me demanda ce que c’étoit que ces Libertés. Je lui lavai la tête, & afin qu’il ne prêche plus dans la suite pareilles maximes, je lui ai fait signer un billet. » Les parlementaires agissaient comme les évêques et Lamprières signa un billet de confession. Je m’étonne de la conduite de cet ecclésiastique et il y a fort à parier qu’il joua l’imbécile pour se sortir de ce mauvais pas. Nous connaissons la teneur du billet : « Je reconnois que les constitutions des Papes ne sont regardées en France comme regle de foi, qu’autant qu’elles ont été reçues unanimement par toute l’Eglise, ce que je crois & m’oblige de soutenir. ». En signant ce billet, l’abbé Lamprières s’était transformé en appelant car pour qu’une décision pontificale fût reçue « unanimement par toute l’Eglise », il fallait un concile, concile auquel appelaient à corps et à cris les jansénistes depuis 1717… Le premier président pensait avoir étouffé l’affaire mais certains des parlementaires considérèrent le sujet trop important pour ne pas engager une procédure devant les chambres assemblées, c’est-à-dire devant le corps du Parlement assemblé pour délibérer à ce sujet. Le 19 juillet, la séance eut lieu : on retint le texte du prône comme pièce à charge puis on publia un arrêt qui faisait éclater au grand jour la réalité du scandale de Louviers. La tentative du premier président avait pour le moins échoué… Pendant ce temps, le bras de fer engagé à Verneuil se poursuivait et de partout on soufflait sur les braises. Delaunay, le prêtre appelant, n’était pas encore mort et réclamait à haute voix les sacrements ; le clergé vernolien et Mgr de Rochechouart les lui refusaient. Le Parlement tenta d’imposer sa volonté à l’évêque qui, après avoir été condamné à une amende de Pendant ce temps, l’abbé Delaunay était mort sans le secours des sacrements et, de concert avec l’autorité royale, Mgr de Rochechouart exila tous les prêtres vernoliens convaincus de jansénisme tandis que l’interdit les poursuivait dans toute la province apostolique de Normandie. Mgr de Rochechouart avait en quelque sorte vaincu le Parlement, il y avait gagné son transfert à l’évêché de Bayeux dont le bénéfice représentait quelques Sur ces entrefaites, le sieur Lamprières s’était enfui de Louviers pour échapper aux poursuites judiciaires mais craignant d’être pourchassé, il se rendit au parlement de Rouen, accosté du curé de Louviers. Tous les deux visitèrent plusieurs parlementaires, l’abbé Lamprières protesta de sa soumission, déclara qu’il s’était trompé, reconnut sa faute, et assura « qu’à l’avenir il ne tomberoit plus dans de pareils écarts ». On en demeura là pour la question religieuse car la contestation parlementaire, exprimée par des Remontrances solennelles, prit un tour politique bien analysé par ailleurs, qui mena à la suppression pure et simple du Parlement de Rouen et à son remplacement par un système de cours supérieures empêchées d’agir par les tenants du Parlement réinstallé en grande pompe au cours des dernières années du règne de Louis XVI. Si le Souverain Pontife, Benoit XIV, finit par publier une encyclique interdisant l’usage des billets de confession, si les refus de sacrements continuèrent à Verneuil pendant quelques temps encore, et si ce doyenné fut littéralement nettoyé de ses jansénistes, il semble bien qu’à Louviers les Novateurs – entendez les opposants à Et le silence documentaire retombe sur Louviers. Où étaient les jansénistes ? Nul ne le sait. L’agitation semble s’être assagie, le conflit entre le Roi, le comte de Saint-Florentin et les parlementaires rouennais occupe tout l’espace médiatique. Pourtant, l’esprit des jansénistes ne s’était pas évaporé et, au début du dernier tiers du XVIIIe siècle, alors que le diocèse d’Evreux ne connaîtra plus la moindre affaire de jansénisme, à Louviers, la contestation survivait, même si elle était plus discrète. Une parente de l’abbé Jean-Baptiste Gaultier, sœur de sainte Dorothée en religion, s’éteignit au couvent de Saint-Louis de Louviers, le jeudi 7 juillet 1774, en même temps qu’une autre religieuse, la sœur de saint Ambroise. Un phénomène mystérieux se produisit alors : « à 7 heures du soir ce même jour il parut au firmament, qui étoit d’un très beau bleu, un st Esprit au milieu de deux Palmes croisées dont l’une étoit plus foible que l’autre, le tout étoit sensiblement formé par des nuages blancs. Un peu plus bas, un assemblage de cailloutages representoit comme une partie de terre. » Ce prodige fut observé par plusieurs pensionnaires pendant plus d’un quart d’heure et l’on en grava une petite image de dévotion aujourd’hui conservée dans les collections de Il était toutefois révolu, le temps où l’on aurait glorifier officiellement le miracle de Louviers dans les Nouvelles ecclésiastiques, ce journal qui était l’organe de presse du mouvement. L’épisode, dont on conserve un menu souvenir sous la forme d’une petite image de colportage, n’avait été diffusé qu’auprès de ceux qui y croyaient encore, les irréductibles du mouvement. Mais en Normandie, la période d’ébullition était terminée et l’Eglise d’Evreux pouvait aborder la Révolution tout à fait débarrassée de ces problèmes, même si – et les archives de l’époque impériale le prouvent aisément – elle payerait encore longtemps les conséquences de l’agitation janséniste car, comme à Auxerre où le phénomène est avéré, la foi avait laissé place à une profonde indifférence religieuse dans les campagnes où le rigorisme des partisans de Jansénius avait lassé plutôt qu’il n’avait convaincu. Mais c’est là une autre histoire…
[1]
Anonyme, Lettre à Monsieur Mallet, Prêtre de Louviers Diocèse d’Evreux ; qui en examinant à Pâques les Enfans de
[2]
Idem, p. 5. [3] Ibidem, p. 6. [4] Ibid., p. 10. [5] Ibid., p. 8.
[6]
Anonyme, « Abrégé de la vie de l’auteur », in Lettres théologiques dans lesquelles l’Ecriture sainte, [7] Anonyme [Jean-Baptiste Gaultier], Critique du ballet moral dansé au Collège de jésuites de Rouen au mois d’Août 1750, s.l., de l’avertissement non paginé. [8] Idem, p. 1.
[9]
Ibidem, p. 24. [10] Ibid., p. 33.
[11]
Le père Joseph-Isaac Berruyer, qui était d’ailleurs né à Rouen en 1681, avait publié un énorme ouvrage historique appelé Histoire du Peuple de Dieu ; il y développait une argumentation qui poussait en quelque manière la théologie positive à son paroxysme, c’est-à-dire qu’il analysait, à la façon de nos exégèses modernes, sans concession, les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, les passait au crible, éliminant ce qui lui semblait incongru, signalant les incohérences, etc…, et surtout qui exaltait l’humanité du Christ à un tel point qu’il donnait l’impression de réduire d’autant sa divinité. Les relents molinistes y sont en outre bien visibles. Les ennemis des jésuites, jansénistes en tête, menèrent une longue bataille contre les trois livraisons de l’Histoire du Peuple de Dieu et l’abbé Gaultier ne fut pas le moindre de ses opposants. Tant et si bien que Rome et [12] Les développements ainsi que les citations qui suivront sont fondés sur l’analyse d’un ouvrage anonyme, Relation de ce qui a été fait au bailliage de Verneuil & Parlement de Rouen au sujet des refus de Saremens faits en la ville de Verneuil, avec toutes les pièces justificatives, s.l.n.d. (1753), utilisé dans notre mémoire de maîtrise d’Histoire moderne, Pierre-Jules-César de Rochecouart, évêque d’Evreux & de Bayeux, 1698-1781, Paris IV-Sorbonne, 2004. [13] Anonyme, « Abrégé de la vie de l’auteur », Lettres théologiques…, p. IX. |
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