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LA PRISON DE LOUVIERS AU XIXe SIECLE Conférence de Mademoiselle Myrtal GOSSIN |
D’un bâtiment religieux, le cloître des Pénitents
devient une prison. Les religieux du couvent Sainte Barbe s’y installent
au XVIIe
siècle. Sous la Révolution,
ce bâtiment sert de salle de réunion à la Société Populaire locale affiliée
aux Jacobins de Paris. Devenu propriété de la ville de Louviers, le
couvent devient la Maison d'arrêt et de correction par un arrêté de
la Commission administrative en date du 1er octobre 1793.
Myrtal Gossin, pour son mémoire de Maîtrise
d'histoire a donc choisi d'étudier cette prison. Comment a fonctionné
cet établissement et comment la réforme pénale a été mise en place ?
La conférence de Myrtal Gossin tente de répondre à ces questions.
Le but d'un sujet sur une prison départementale comme celle de Louviers est de saisir les changements qu'entraîne le passage d'une pénalité à une autre dans une ville modeste, et de comprendre comment la réforme des codes pénaux et les nouvelles peines y ont été appliquées. Les prisons départementales forment l'essentiel des lieux d'enfermement mais elles ont peu été étudiées au profit des grandes centrales qui voient le jour au XIXe siècle également. Mon but est de définir à travers l'étude de cette prison si les lieux de peine s'étaient humanisés. Pour parvenir à une connaissance du fonctionnement et de la vie en prison
et de ses acteurs, j'ai consulté les archives municipales de Louviers
puis je me suis rendue, pendant de longs mois, aux archives départementales
d'Evreux. Les archives conservées à la médiathèque de Louviers m'ont
également fourni des renseignements précieux.
C'est dans le contexte de mutations
sociales et intellectuelles qui ébranlent l'Ancien Régime que la réforme
du système pénal apparaît inéluctable. C'est en 1791 que la prison devient
pour la première fois une peine
légale mais, en pratique, l'enfermement est utilisé bien avant cette
date, l'Eglise nous en donne d'ailleurs un exemple au Moyen Age lors
de l'inquisition.
Cette réforme organise la peine de prison et le réseau des lieux d'enfermement
tels que les maisons d’arrêt, les maisons de justice et les
maisons centrales. Chacune de ces maisons est habilitée à ne recevoir
qu'un seul type de prisonniers.
Les maisons d'arrêt sont celles qui nous intéressent puisque la
prison de Louviers en est une. Elles reçoivent les inculpés, prévenus
et condamnés à moins d'un an et un jour de prison.
Les maisons de justice : prévenus mis en accusation par la Cour royale
et ceux qui doivent passer aux Assises.
La maison centrale : les condamnés à plus d'un an et un jour.
Le nouveau code de 1810 ne remet pas en cause ce système
d'enfermement.
A Louviers comme ailleurs l'emprisonnement est
utilisé avant la législation adaptée. Une geôle en piteux état existe
du côté de la rue du Marché aux Oeufs. Puis, en 1793, des bâtiments
confisqués aux religieux pénitents de Saint-François depuis 1790 sont
alloués à la prison de Louviers.
Contraintes de la vie quotidienne: Le bâtiment : Il
faut trouver des bâtiments pour abriter les nouvelles prisons.
En réalité, les départements ne peuvent en aucun cas assumer les dépenses
que la loi suggère de réaliser en matière d'enfermement. Les différents
types d'établissements se trouvent par conséquent regroupés dans un
même lieu et il est fréquent que les confiscations de la Révolution
soient transformées en prison. En effet, en 1790, les religieux Pénitents
de Saint-François sont chassés du centre de Louviers et leurs locaux
sont récupérés par la ville. C'est en 1793 que ces locaux reçoivent
les prisonniers de Louviers et deviennent la maison d'arrêt.
(Il semblerait qu'avant de devenir la maison d'arrêt, le couvent
soit d'abord devenu la salle de séance de la société populaire locale
affiliée aux jacobins de Paris puis une école de garnison).
Le nouveau code pénal permet de retirer aux citoyens la valeur essentielle
issue des Lumières qu'est la liberté. La privation de liberté est
définie en opposition aux peines corporelles d'antan, comme la torture,
les mutilations et les mises à mort. La prison est vue, au départ,
comme la peine égalitaire par excellence. Toutes ces théories sont
vite remises en cause par des pratiques qui révèlent de nombreuses
similitudes avec l'Ancien Régime. Dès le départ, la promiscuité est
dénoncée dans les prisons départementales où ne règnent ni l'ordre
ni la discipline.
A Louviers, le bâtiment n'est pas agencé de manière à favoriser sa transformation
en prison mais il faut faire avec ce que l'on a. Dès lors, il règne
une confusion des sexes, des âges et des types de détenus dont la
circulation semble possible. La clôture des pièces que l'on voit sur
les plans est théorique, les devis proposent, en effet, d'installer
des grilles un peu partout. Dès l'an XII, cette confusion est reconnue
comme étant un facteur d'augmentation de la délinquance et de sa contagion.
La prison est déjà reconnue comme une école du crime. Dès lors, les
utopies d'amendement par l'enfermement et la réflexion sur soi sont
remises en cause.
En 1819, Barbé-Marbois (sénateur et ministre du Trésor sous l'Empire,
premier président de la Cour des comptes sous la Restauration; il
est membre de la Société royale des prisons et est particulièrement
chargé des prisons de la Seine-Inférieure et de l'Eure) lui-même s'inquiète
de la confusion des grands et des petits criminels, les derniers étant
instruits au crime par les premiers. En 1859, le directeur des prisons
de l'Eure regrette avoir vu à Louviers deux jeunes dans la même chambre
qu'un adulte.
Jusqu'en 1913, on retrouve les traces des plaintes sur le manque de séparation:
cf le rapport du directeur de l'administration pénitentiaire en tournée.
La nouvelle prison de Louviers est dès le départ dans un état déplorable.
*Salubrité : depuis le XVIIIème siècle, la salubrité est
considérée comme un facteur essentiel dans l'amendement des prisonniers.
Dans un temps où les lieux d'entassement des hommes focalisent l'attention
des hygiénistes, la prison représente ce qu'il y a de pire.
A Louviers, il y a un grand problème d'humidité
lié au passage de l'Eure sous le bâtiment; ce qui se traduit en maladies
telles que les fièvres, le choléra, les rhumatismes. La situation
des bâtiments favorise les épidémies puisque par exemple, en l'an
XII, il y a une épidémie de fièvre putride maligne mais les malades
ne sont pas séparés des biens ponants. De plus, les industries présentes
en amont de la prison donnent aux prisonniers de Louviers une eau
parfois impropre à la consommation. Le seul avantage se trouve être
la facilité d'évacuation des immondices.
*Sûreté: L'état du bâtiment et sa non-adaptation
à son nouveau rôle favorisent bien entendu les risques d'évasion ;
les concierges et les gardiens s'en plaignent d'ailleurs régulièrement
puisqu'à chaque nouvelle évasion, ils sont automatiquement et personnellement
mis en cause et accusés de complicité. Les évasions se font aussi
bien par les toits que par le jardin ou le sous-sol. C'est d'ailleurs
pour cela qu'en 1829 des barreaux en fer sont posés sous l'eau.
*Les
lieux de punition : ils existent à Louviers sous la forme d'un
cachot et d'une chambre de discipline. Us ont pour but d'introduire
un degré supplémentaire dans la peine puisque les châtiments directs
sont interdits, c'est un enfermement plus dur qui est choisi, mais
les conditions y sont te plus souvent inhumaines. Ils sont souterrains,
humides, obscurs, irrespirables et seulement meublés de chaînes et
de paille. Même si les fers sont interdits, ils sont tout de
même utilisés dans de nombreuses prisons. En 1823, le cachot est qualifié
«d'endroit presque aquatique » par la commission de surveillance.
En 1826, un cachot de 7,5 m est tout de même construit mais il est
complètement obscur.
Règlement du strict minimum. Au XIXème siècle, les règlements se suivent et se complètent
dans une volonté d'uniformisation des lieux de peine et de leur contrôle
omniprésent, pour éviter â tout prix que l'arbitraire ne s'y installe.
Le règlement de 1801 fixe pour la première fois les services
à fournir aux détenus
*La
nourriture est fournie aux détenus par humanité, dans le but d'assurer
leur survie. Le
pain (750 g/jour) est fait par un boulanger extérieur et la soupe
par le gardien qui s'en fait rembourser les frais selon un tarif fixe
(1 litre/jour). Dès lors, se pose le fameux problème moral qu'un prisonnier
ne doit pas être mieux traité que le plus pauvre des hommes libres.
En réalité, la nourriture est très mauvaise et non réglementaire.
Les prisonniers s'en plaignent et les commissions de surveillance
également.
*Les
vêtements sont également fournis car les prisonniers sont en majorité
des indigents qui
ne
peuvent que très difficilement se vêtir. Il existe donc un vestiaire
qui comporte le minimum pour s'habiller et se chausser. A aucun moment,
on ne peut cependant évoquer un costume carcéral (même s'il est préconisé
dans le règlement généra~ de 1841), le vestiaire est bien trop hétérogène.
* *La literie est, elle aussi, à la charge de
l'administration dans un but d'hygiène et d'humanité.
En
1801, l'administration signale qu'il faut fournir une ou deux couvertures
à chaque prisonnier ainsi qu'un sommier. En réalité, même Si quelques
lits en fer font leur apparition dans la seconde moitié du siècle,
le coucher s'effectue pour la quasi-totalité des prisonniers dans
des dortoirs, sur de la paille nauséabonde fournie par le gardien.
* *L'hygiène est considérée
dès le départ comme un point fondamental de l'amendement du prisonnier.
En 1801,
elle n'est cependant évoquée que pour les bâtiments et les malades.
La toilette des prisonniers n'est jamais mentionnée dans les archives
mais les inventaires de la prison nous indique la présence de quelques
baquets de lavage en 1879 par exemple.
Les mauvaises conditions sanitaires, l'alimentation, le coucher, etc.
... évoquées plus en avant ne sont sans doute pas étrangers à la présence
de nombreux malades (entre 4 et 8% des prisonniers) d'autant plus que cette prison ne possède pas d'infirmerie.
Les décès n'y sont pas non plus exceptionnels.
Le
règlement général et local de 1841 rend compte de la volonté de maîtriser
complètement les établissements pénitentiaires départementaux. Ce
règlement a cependant besoin d'&re adapté aux réalités de chaque
établissement pour être efficace et c'est dans cette perspective d'efficacité
qu'en 1843 apparaît à Louviers le premier règlement particulier. Il
comporte 27 articles et aborde des problèmes concrets liés
à la vie quotidienne. Il introduit des interdits tels que l'interdiction
du trafic de nourriture et de boisson dans la prison. Il impose une
discipline faite d'horaires fixes pour tout ce qui concerne la vie
des prisonniers et qui a pour but de modeler les êtres afin de les
rendre à la société.
Des hommes libres en prison:
Le personnel de surveillance:
La prison de Louviers
est gérée par un gardien chef et un gardien ordinaire qui est sous
son autorité. Le maire de la ville fait office de directeur puisqu'il
n'y en a pas de nommé dans de Si petits établissements.
Le
premier rôle qui leur est attribué consiste à moraliser les détenus
et c'est dans ce but que dès l'an XII et durant tout le siècle, on
tente de faire diminuer les trafics dans les établissements.' Cependant,
la faible rémunération des gardiens les pousse encore et toujours
à s'adonner à des trafics crapuleux.
On
leur demande également d'amender le prisonnier par une surveillance
constante et de réelles qualités morales, d'être des modèles. La surveillance
constante est impossible à Louviers pour des raisons d'organisation
des locaux et les qualités morales des gardiens sont plus que douteuses
au vu des renseignements collectés dans les archives.
Les
gardiens sont les personnages centraux de l'administration pénitentiaire,
et effectuent un lourd travail administratif en plus de toutes les
tâches liées à la vie quotidienne. Ils tiennent les registres et s'occupent
des comptes. Ces tâches sont très contrôlées et beaucoup de reproches
leur sont faits dans ce cadre.
Ils
sont bien entendu responsables de la sûreté dans la limite de ce que
leur permettent les locaux de Louviers. C'est dans un souci d'efficacité
qu'ils sont hébergés dans la prison.
Nommés par le préfet, sur proposition de la municipalité et de la commission
de surveillance, ils doivent savoir lire, écrire et avoir de bonnes
mœurs. La grande majorité est constituée d'anciens soldats, le critère
militaire est, en effet, fortement apprécié et même recommandé car
il est supposé que tout le temps passé dans l'armée leur donne autorité
et discipline. Ce métier offre un intérêt non négligeable pour ces
anciens militaires puisqu'ils peuvent compléter leur cotisation pour
pouvoir toucher une pension d'ancien militaire.
Les
surveillantes quant à elles apparaissent à Louviers pour la première
fois en 1842. Aucune congrégation religieuse n'est présente à Louviers
dans la prison alors que depuis 1841 elles ont accès aux prisons départementales.
Ce sont toujours les femmes des gardiens chefs qui sont choisies.
Elles ont comme fonction principale de surveiller le bâtiment des
femmes mais de nombreuses plaintes à leur sujet indiquent qu'elles
effectuent rarement correctement leur travail de surveillance.
Malgré
des plaintes omniprésentes, les révocations sont rares mais les mutations
et les démissions sont plus fréquentes et permettent de remédier à
des situations conflictuelles. Les mutations permettent de se débarrasser
d'un gardien devenu gênant.
Ils
ont un pouvoir non négligeable au sein des prisons et le système carcéral
leur laisse le champ libre dans l'application de la peine. Jusqu'à
se demander parfois si la proximité qui existe entre les détenus et
les gardiens ne favorise pas les digressions de ces derniers.
Des intervenants extérieurs :Cette emprise du personnel de surveillance
est de plus en plus contestée et jugée par des personnes extérieures
au milieu carcéral.
La commission de surveillance :
Fondées en 1810 et généralisées en 1819, ces commissions sont instituées
auprès de chaque prison d'arrondissement pour en contrôler le fonctionnement.
Elle doit veiller à la salubrité des locaux, à la discipline, la tenue
des registres, la nourriture, le vestiaire et doit faire des propositions
d'améliorations possibles. Elle doit veiller à ce qu'il n'y ait pas
d'abus d'aucune sorte. Elle a un droit de regard sur tout ce qui concerne
la prison et son régime intérieur ainsi que sur l'attitude des gardiens
envers les prisonniers. Elle est composée de notables de Louviers
qui sont nommés pour cinq ans; le personnel judiciaire y est sur représenté
(60%), puis on trouve le personnel
administratif, les industriels du textile, un curé et un docteur à
partir de 1880.
Les services spéciaux : Le premier aumônier de la prison est nommé
par le préfet sur proposition de l'évêque en 1844. Au départ, on lui
donne un rôle essentiel dans l'éducation et la moralisation des prisonniers
mais très vite on se rend compte que la faible rétribution des aumôniers
et leur manque de motivation font qu'ils effectuent un service minimum.
Le médecin : La création d'un poste de médecin à Louviers
va en parallèle avec la découverte d'une relation d'interdépendance
entre l'hygiène et la santé des malades. A Louviers, un maître en
chirurgie est nommé très tôt, dès l'an XII, la prison de Louviers
est d'ailleurs pendant quelques années la seule de l'Eure à posséder
un médecin. Il a en charge la santé des prisonniers et celle des gardiens,
il doit en outre contrôler l'hygiène des locaux et veiller à la non
contagion lorsqu'il y a des malades. C'est un poste qui favorise l'ascension
sociale.
Les entrepreneurs : Au milieu du siècle, les entrepreneurs privés
font leur apparition dans les prisons. Ils prennent la place du commissionnaire
et enlèvent certaines tâches aux gardiens, celles grâce auxquelles
ils s'enrichissaient, ce qui ne va pas sans poser de problème de cohabitation.
Ils doivent s'occuper de tout ce qui est d'ordre matériel, comme le
vestiaire, les objets de culte, de chauffage, d'éclairage, la nourriture...
En contrepartie, ils ont le bénéfice de la pistole et du travail des
prisonniers. Ce travail, au départ vu comme un moyen d'amender les
détenus, devient alors un moyen de faire des profits. De plus, ils
profitent du réinvestissement des salaires dans la cantine. Le travail
des détenus laisse peu de trace dans les archives mais assez pour
savoir qu'il s'agit en majorité de travaux en rapport avec l'industrie
du textile (laine et cuir> et de la chaussure.
Les conflits entre les représentants des entrepreneurs et les gardiens
sont quasi permanents.
Population carcérale et criminologie :
La prison de Louviers est une prison modeste qui se place, en terme d'effectifs,
denjêre celles d'Evreux et de Pont-Audemer et devant celles de Bernay
et des Andelys. En moyenne, elle reçoit entre 20 et 40 détenus, mais
ses effectifs sont très instables.
Des pics d'enfermement sont repérés et mis en relation avec des phénomènes
sociaux.
Par exemple, de mauvaises récoltes
peuvent avoir pour conséquence indirecte une augmentation d'un type
de délinquance comme les vols de subsistance ou les délits forestiers
comme c'est le cas en 1828 à
Louviers. (Code forestier adopté en 1827)
Les changements de régime ont également une influence sur la courbe
de l'enfermement. En 1830, on remarque une forte chute des entrants
en même temps que les bouleversements politiques. Car, même si à Louviers,
la Révolution est presque passée inaperçue comme le signale Louis
Béquet dans L 'histoire de Louviers à travers les choses, les
services judiciaires ont tout de même été atteints pendant quelque
temps. La remontée du nombre d'entrants en 1831 peut être due à une
volonté de rattraper le retard de 1830 dû à ces perturbations.
Les changements dans l'économie ont eux aussi un poids sur le nombre d'entrants
dans la prison de Louviers en 1833/1834, ce nombre est assez élevé
pour être mis en parallèle avec la baisse des salaires ouvriers qui
augmente la misère et provoque des troubles. Six ouvriers se retrouvent
d'ailleurs enfermés à Louviers pour avoir participé â une coalition.
De même en 1837, le malaise économique touche durement l'industrie
textile de Louviers qui licencie, la misère gagne alors à nouveau
et est renforcée par les mauvaises récoltes de 1839.
Les
détenus ont été divisés en 3 groupes : les hommes, les femmes et les
jeunes, ce qui représente en tout 1170 détenus dans ma base de données.
Les femmes sont toujours fortement minoritaires. Entre 1823 et 1848,
sur le total de la population carcérale, seulement 24% sont des femmes.
Hommes : échantillonnage qui va de l'an XII à 1849 et qui porte sur 13 almées
complètes.
L'archétype du délinquant emprisonné à Louviers est un homme majeur et
voleur issu d'un milieu populaire. Les détenus de Louviers sont en
majorité issus de milieux peu favorisés. D'après les 300 métiers dont
nous avons mention dans notre base de données concernant les hommes,
les plus nombreux sont journaliers ou ouvriers. Plus d'un tiers (34,5%)
des hommes enfermés le sont pour vol, recel ou escroquerie. Sur l'ensemble
de la population carcérale, le vol représente tout de même 52% des
délits.
La violence de la société du XIXe siècle est également un élément
important dans notre étude. On la retrouve sous des termes différents
tels que : coups et blessures, outrages, injures, rébellion ... Ces
délits de violence représentent près de 20% des délits des détenus
et sont dirigés pour la plupart, contre les représentants de l'ordre
comme la police, la gendarmerie ou les gardes forestiers.
La peur de l'autre est également une des composantes de la société du
XIXe siècle. La répression du vagabondage est une obsession
car elle apparaît en opposition avec les valeurs bourgeoises de cette
société. Ce délit représente tout de même 14% des détenus de Louviers.
Les femmes prisonnières : 457 femmes ont été recensées dans la
base de données entre 1823 et l84~9. Elles ont en majorité entre 20
et 30 ans et entre 41 et 50 ans. Ce sont également des femmes du peuple
puisque, comme les hommes, elles sont en majorité journalières ou
ouvrières de l'industrie textile. Une différence cependant: elles
sont tout de même 21% a être issues des métiers du commerce et beaucoup
d'entre elles sont d'ailleurs condamnées pour des délits spécifiques
à leur profession.
Leurs délits sont à peu de choses près identiques à ceux des hommes. Pourtant,
une différence existe en ce qui concerne les délits d'infanticide
qui ne sont attribués qu'aux femmes. Il est vrai qu'elles sont les
seules à avoir en charge réellement les enfants en parallèle d'ailleurs
avec une vie qui cumule de plus en plus le travail avec la vie familiale.
Une seconde exception existe en ce qui concerne cette fois les délits
de mauvaise mœurs. Les femmes sont cette fois encore les seules à
être jugées sur leurs mœurs, non pas que les hommes soient sans reproches
de ce côté mais la vie des femmes est plus contrôlée et controversée.
La femme qui ne correspond pas à l'image coquette soumise et maîtrisée
est automatiquement mal vue. Les débordements féminins sont moins
tolérés que ceux des hommes, et sont considérés comme troublant plus
profondément l'ordre social.
La
raison de leur infériorité numérique vient du fait que la femme est
encore en majorité tenue écartée de la vie publique et elles apparaissent
donc moins devant les tribunaux.
En
ce qui concerne les peines des délits qu'elles ont en commun avec
les hommes, comme le vagabondage ou les vols, leurs peines ne sont
pas plus lourdes.
Les
enfants détenus
de Louviers : au XIXe siècle, les enfants sont reconnus comme des
êtres différents des adultes mais ils ne sont pas punis différemment
et doivent assumer leurs fautes. Malgré les tentatives de protection
de l'enfant par le code pénal, les jeunes sont toujours enfermés parmi
les adultes et ce tout au long du siècle car même lorsque des maisons
de correction ou des colonies agricoles sont ouvertes, ils passent
encore un tong moment avant leur transfert dans les prisons départementales.
C'est dans la seconde moitié du siècle qu'ils sont envoyés dans des
maisons spéciales pour les jeunes et qui ne pratiquent pas la mixité.
Ce sont des maisons de correction ou des colonies pénitentiaires,
les garçons sont envoyés aux Douaires à Gaillon pour 70% d'entre eux
et les filles sont envoyées à l'atelier refuge de Darnétal (56%)
ou dans des écoles de réforme (comme celle de
Saint-Joseph à Frasnes le Château).
Les
jeunes détenus subissent les mêmes difficultés conjoncturelles que
les adultes et sont enfermés pour les mêmes délits. Près de 80% d'entre
eux le sont pour des vols, 15% pour vagabondage ou mendicité…
Conclusion
L'étude de la prison de Louviers est un cas concret du télescopage entre
les réalités d'en haut que sont les lois, les décrets et les circulaires,
les sources officielles et la réalité que le dépouillement des archives
permet d'entrevoir, c'est à dire la vie des hommes et des femmes qui
subissent ou qui travaillent en prison. A travers cette étude, c'est
l'échec des idées généreuses et philanthropiques de 1791 qui est mis
en évidence. Dès le départ, les conditions matérielles rendent irréalisables
les bonnes volontés. En outre, la négligence, la méchanceté et la
cupidité de certains gardiens enlèvent à la détention ses vues philanthropiques.
L'Etat a laissé pourrir la situation par son manque d'engagement financier
et son désintérêt pour la question pénitentiaire. La réelle nouveauté
de cette prison réside bien dans l'apparition de multiples intervenants
en son sein et dans le début de sa « privatisation ».
La population carcérale de cette prison de Louviers
nous donne à voir la misère du XIXe siècle. C'est le petit
peuple qui est enfermé. L'étude de la population carcérale s'apparente
de toute évidence à une étude de la misère et de la dépravation de
la société du XIXe siècle. Avec cette prison du XIXe
siècle, n'est-ce pas l'ancien régime qui perdure sous bien des aspects
un régime alimentaire plus que juste qui affaiblit les corps et les
esprits, le coucher sur la paille et des inégalités qui
y persistent. Bâtiment inadapté, des règlements
tâtonnants et uniquement disciplinaires, personnel incompétent ou
qui ne peut mieux faire, voilà quelle est la réalité de la prison
de Louviers et des prisons départementales en général.
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