Société d'Etudes Diverses
de Louviers et de sa région

Conférences
La Prison de Louviers au XIXe Siècle
Retour à la page d'accueil Conférences
Actualité
Communiq.
Histoire
Patrimoine
Conférences
Images
Accueil

LA PRISON DE LOUVIERS AU XIXe SIECLE

Conférence de Mademoiselle Myrtal GOSSIN
Etudiante en Histoire
le 7 avril 2001

 

D’un bâtiment religieux, le cloître des Pénitents devient une prison. Les religieux du couvent Sainte Barbe s’y installent au XVIIe siècle. Sous la Révolution, ce bâtiment sert de salle de réunion à la Société Populaire locale affiliée aux Jacobins de Paris. Devenu propriété de la ville de Louviers, le couvent devient la Maison d'arrêt et de correction par un arrêté de la Commission administrative en date du 1er  octobre 1793.
Myrtal Gossin, pour son mémoire de Maîtrise d'histoire a donc choisi d'étudier cette prison. Comment a fonctionné cet établissement et comment la réforme pénale a été mise en place ? La conférence de Myrtal Gossin tente de répondre à ces questions.

Le but d'un sujet sur une prison départementale comme celle de Louviers est de saisir les changements qu'entraîne le passage d'une pénalité à une autre dans une ville modeste, et de comprendre comment la réforme des codes pénaux et les nouvelles peines y ont été appliquées. Les prisons départementales forment l'essentiel des lieux d'enfermement mais elles ont peu été étudiées au profit des grandes centrales qui voient le jour au XIXe siècle également. Mon but est de définir à travers l'étude de cette prison si les lieux de peine s'étaient humanisés.

Pour parvenir à une connaissance du fonctionnement et de la vie en prison et de ses acteurs, j'ai consulté les archives municipales de Louviers puis je me suis rendue, pendant de longs mois, aux archives départementales d'Evreux. Les archives conservées à la médiathèque de Louviers m'ont également fourni des renseignements précieux.
C'est dans le contexte de mutations sociales et intellectuelles qui ébranlent l'Ancien Régime que la réforme du système pénal apparaît inéluctable. C'est en 1791 que la prison devient pour la première fois une peine légale mais, en pratique, l'enfermement est utilisé bien avant cette date, l'Eglise nous en donne d'ailleurs un exemple au Moyen Age lors de l'inquisition.
Cette réforme organise la peine de prison et le réseau des lieux d'enfermement tels que les maisons darrêt, les maisons de justice et les maisons centrales. Chacune de ces maisons est habilitée à ne recevoir qu'un seul type de prisonniers.
Les maisons d'arrêt sont celles qui nous intéressent puisque la prison de Louviers en est une. Elles reçoivent les inculpés, prévenus et condamnés à moins d'un an et un jour de prison.
Les maisons de justice : prévenus mis en accusation par la Cour royale et ceux qui doivent passer aux Assises.
La maison centrale : les condamnés à plus d'un an et un jour.
Le nouveau code de 1810 ne remet pas en cause ce système d'enfermement.
A Louviers comme ailleurs l'emprisonnement est utilisé avant la législation adaptée. Une geôle en piteux état existe du côté de la rue du Marché aux Oeufs. Puis, en 1793, des bâtiments confisqués aux religieux pénitents de Saint-François depuis 1790 sont alloués à la prison de Louviers.

 

Contraintes de la vie quotidienne:

Le bâtiment : Il faut trouver des bâtiments pour abriter les nouvelles prisons. En réalité, les départements ne peuvent en aucun cas assumer les dépenses que la loi suggère de réaliser en matière d'enfermement. Les différents types d'établissements se trouvent par conséquent regroupés dans un même lieu et il est fréquent que les confiscations de la Révolution soient transformées en prison. En effet, en 1790, les religieux Pénitents de Saint-François sont chassés du centre de Louviers et leurs locaux sont récupérés par la ville. C'est en 1793 que ces locaux reçoivent les prisonniers de Louviers et deviennent la maison d'arrêt.  (Il semblerait qu'avant de devenir la maison d'arrêt, le couvent soit d'abord devenu la salle de séance de la société populaire locale affiliée aux jacobins de Paris puis une école de garnison).
Le nouveau code pénal permet de retirer aux citoyens la valeur essentielle issue des Lumières qu'est la liberté. La privation de liberté est définie en opposition aux peines corporelles d'antan, comme la torture, les mutilations et les mises à mort. La prison est vue, au départ, comme la peine égalitaire par excellence. Toutes ces théories sont vite remises en cause par des pratiques qui révèlent de nombreuses similitudes avec l'Ancien Régime. Dès le départ, la promiscuité est dénoncée dans les prisons départementales où ne règnent ni l'ordre ni la discipline.
A Louviers, le bâtiment n'est pas agencé de manière à favoriser sa transformation en prison mais il faut faire avec ce que l'on a. Dès lors, il règne une confusion des sexes, des âges et des types de détenus dont la circulation semble possible. La clôture des pièces que l'on voit sur les plans est théorique, les devis proposent, en effet, d'installer des grilles un peu partout. Dès l'an XII, cette confusion est reconnue comme étant un facteur d'augmentation de la délinquance et de sa contagion. La prison est déjà reconnue comme une école du crime. Dès lors, les utopies d'amendement par l'enfermement et la réflexion sur soi sont remises en cause.
En 1819, Barbé-Marbois (sénateur et ministre du Trésor sous l'Empire, premier président de la Cour des comptes sous la Restauration; il est membre de la Société royale des prisons et est particulièrement chargé des prisons de la Seine-Inférieure et de l'Eure) lui-même s'inquiète de la confusion des grands et des petits criminels, les derniers étant instruits au crime par les premiers. En 1859, le directeur des prisons de l'Eure regrette avoir vu à Louviers deux jeunes dans la même chambre qu'un adulte.
Jusqu'en 1913, on retrouve les traces des plaintes sur le manque de séparation: cf le rapport du directeur de l'administration pénitentiaire en tournée.

 

La nouvelle prison de Louviers est dès le départ dans un état déplorable.

                *Salubrité : depuis le XVIIIème siècle, la salubrité est considérée comme un facteur essentiel dans l'amendement des prisonniers. Dans un temps où les lieux d'entassement des hommes focalisent l'attention des hygiénistes, la prison représente ce qu'il y a de pire.
A Louviers, il y a un grand problème d'humidité lié au passage de l'Eure sous le bâtiment; ce qui se traduit en maladies telles que les fièvres, le choléra, les rhumatismes. La situation des bâtiments favorise les épidémies puisque par exemple, en l'an XII, il y a une épidémie de fièvre putride maligne mais les malades ne sont pas séparés des biens ponants. De plus, les industries présentes en amont de la prison donnent aux prisonniers de Louviers une eau parfois impropre à la consommation. Le seul avantage se trouve être la facilité d'évacuation des immondices.
                *Sûreté: L'état du bâtiment et sa non-adaptation à son nouveau rôle favorisent bien entendu les risques d'évasion ; les concierges et les gardiens s'en plaignent d'ailleurs régulièrement puisqu'à chaque nouvelle évasion, ils sont automatiquement et personnellement mis en cause et accusés de complicité. Les évasions se font aussi bien par les toits que par le jardin ou le sous-sol. C'est d'ailleurs pour cela qu'en 1829 des barreaux en fer sont posés sous l'eau.
                *Les lieux de punition : ils existent à Louviers sous la forme d'un cachot et d'une chambre de discipline. Us ont pour but d'introduire un degré supplémentaire dans la peine puisque les châtiments directs sont interdits, c'est un enfermement plus dur qui est choisi, mais les conditions y sont te plus souvent inhumaines. Ils sont souterrains, humides, obscurs, irrespirables et seulement meublés de chaînes et de paille. Même si les fers sont interdits, ils sont tout de même utilisés dans de nombreuses prisons. En 1823, le cachot est qualifié «d'endroit presque aquatique » par la commission de surveillance. En 1826, un cachot de 7,5 m est tout de même construit mais il est complètement obscur.

 

Règlement du strict minimum.

Au XIXème siècle, les règlements se suivent et se complètent dans une volonté d'uniformisation des lieux de peine et de leur contrôle omniprésent, pour éviter â tout prix que l'arbitraire ne s'y installe.
Le règlement de 1801 fixe pour la première fois les services à fournir aux détenus
                 *La nourriture est fournie aux détenus par humanité, dans le but d'assurer leur survie. Le
pain (750 g/jour) est fait par un boulanger extérieur et la soupe par le gardien qui s'en fait rembourser les frais selon un tarif fixe (1 litre/jour). Dès lors, se pose le fameux problème moral qu'un prisonnier ne doit pas être mieux traité que le plus pauvre des hommes libres. En réalité, la nourriture est très mauvaise et non réglementaire. Les prisonniers s'en plaignent et les commissions de surveillance également.
                 *Les vêtements sont également fournis car les prisonniers sont en majorité des indigents qui
ne peuvent que très difficilement se vêtir. Il existe donc un vestiaire qui comporte le minimum pour s'habiller et se chausser. A aucun moment, on ne peut cependant évoquer un costume carcéral (même s'il est préconisé dans le règlement généra~ de 1841), le vestiaire est bien trop hétérogène.
*                     *La literie est, elle aussi, à la charge de l'administration dans un but d'hygiène et d'humanité.
En 1801, l'administration signale qu'il faut fournir une ou deux couvertures à chaque prisonnier ainsi qu'un sommier. En réalité, même Si quelques lits en fer font leur apparition dans la seconde moitié du siècle, le coucher s'effectue pour la quasi-totalité des prisonniers dans des dortoirs, sur de la paille nauséabonde fournie par le gardien.
*                     *L'hygiène est considérée dès le départ comme un point fondamental de l'amendement du prisonnier. En 1801, elle n'est cependant évoquée que pour les bâtiments et les malades. La toilette des prisonniers n'est jamais mentionnée dans les archives mais les inventaires de la prison nous indique la présence de quelques baquets de lavage en 1879 par exemple.
Les mauvaises conditions sanitaires, l'alimentation, le coucher, etc. ... évoquées plus en avant ne sont sans doute pas étrangers à la présence de nombreux malades (entre 4 et 8% des prisonniers) d'autant plus que cette prison ne possède pas d'infirmerie. Les décès n'y sont pas non plus exceptionnels.
Le règlement général et local de 1841 rend compte de la volonté de maîtriser complètement les établissements pénitentiaires départementaux. Ce règlement a cependant besoin d'&re adapté aux réalités de chaque établissement pour être efficace et c'est dans cette perspective d'efficacité qu'en 1843 apparaît à Louviers le premier règlement particulier. Il comporte 27 articles et aborde des problèmes concrets liés à la vie quotidienne. Il introduit des interdits tels que l'interdiction du trafic de nourriture et de boisson dans la prison. Il impose une discipline faite d'horaires fixes pour tout ce qui concerne la vie des prisonniers et qui a pour but de modeler les êtres afin de les rendre à la société.
Des hommes libres en prison:
 
Le personnel de surveillance: La prison de Louviers est gérée par un gardien chef et un gardien ordinaire qui est sous son autorité. Le maire de la ville fait office de directeur puisqu'il n'y en a pas de nommé dans de Si petits établissements.
Le premier rôle qui leur est attribué consiste à moraliser les détenus et c'est dans ce but que dès l'an XII et durant tout le siècle, on tente de faire diminuer les trafics dans les établissements.' Cependant, la faible rémunération des gardiens les pousse encore et toujours à s'adonner à des trafics crapuleux.
On leur demande également d'amender le prisonnier par une surveillance constante et de réelles qualités morales, d'être des modèles. La surveillance constante est impossible à Louviers pour des raisons d'organisation des locaux et les qualités morales des gardiens sont plus que douteuses au vu des renseignements collectés dans les archives.
Les gardiens sont les personnages centraux de l'administration pénitentiaire, et effectuent un lourd travail administratif en plus de toutes les tâches liées à la vie quotidienne. Ils tiennent les registres et s'occupent des comptes. Ces tâches sont très contrôlées et beaucoup de reproches leur sont faits dans ce cadre.
Ils sont bien entendu responsables de la sûreté dans la limite de ce que leur permettent les locaux de Louviers. C'est dans un souci d'efficacité qu'ils sont hébergés dans la prison.
Nommés par le préfet, sur proposition de la municipalité et de la commission de surveillance, ils doivent savoir lire, écrire et avoir de bonnes mœurs. La grande majorité est constituée d'anciens soldats, le critère militaire est, en effet, fortement apprécié et même recommandé car il est supposé que tout le temps passé dans l'armée leur donne autorité et discipline. Ce métier offre un intérêt non négligeable pour ces anciens militaires puisqu'ils peuvent compléter leur cotisation pour pouvoir toucher une pension d'ancien militaire.
Les surveillantes quant à elles apparaissent à Louviers pour la première fois en 1842. Aucune congrégation religieuse n'est présente à Louviers dans la prison alors que depuis 1841 elles ont accès aux prisons départementales. Ce sont toujours les femmes des gardiens chefs qui sont choisies. Elles ont comme fonction principale de surveiller le bâtiment des femmes mais de nombreuses plaintes à leur sujet indiquent qu'elles effectuent rarement correctement leur travail de surveillance.
Malgré des plaintes omniprésentes, les révocations sont rares mais les mutations et les démissions sont plus fréquentes et permettent de remédier à des situations conflictuelles. Les mutations permettent de se débarrasser d'un gardien devenu gênant.
Ils ont un pouvoir non négligeable au sein des prisons et le système carcéral leur laisse le champ libre dans l'application de la peine. Jusqu'à se demander parfois si la proximité qui existe entre les détenus et les gardiens ne favorise pas les digressions de ces derniers.
 
Des intervenants extérieurs :Cette emprise du personnel de surveillance est de plus en plus contestée et jugée par des personnes extérieures au milieu carcéral.
La commission de surveillance : Fondées en 1810 et généralisées en 1819, ces commissions sont instituées auprès de chaque prison d'arrondissement pour en contrôler le fonctionnement. Elle doit veiller à la salubrité des locaux, à la discipline, la tenue des registres, la nourriture, le vestiaire et doit faire des propositions d'améliorations possibles. Elle doit veiller à ce qu'il n'y ait pas d'abus d'aucune sorte. Elle a un droit de regard sur tout ce qui concerne la prison et son régime intérieur ainsi que sur l'attitude des gardiens envers les prisonniers. Elle est composée de notables de Louviers qui sont nommés pour cinq ans; le personnel judiciaire y est sur représenté (60%), puis on trouve le personnel administratif, les industriels du textile, un curé et un docteur à partir de 1880.
Les services spéciaux : Le premier aumônier de la prison est nommé par le préfet sur proposition de l'évêque en 1844. Au départ, on lui donne un rôle essentiel dans l'éducation et la moralisation des prisonniers mais très vite on se rend compte que la faible rétribution des aumôniers et leur manque de motivation font qu'ils effectuent un service minimum.
Le médecin : La création d'un poste de médecin à Louviers va en parallèle avec la découverte d'une relation d'interdépendance entre l'hygiène et la santé des malades. A Louviers, un maître en chirurgie est nommé très tôt, dès l'an XII, la prison de Louviers est d'ailleurs pendant quelques années la seule de l'Eure à posséder un médecin. Il a en charge la santé des prisonniers et celle des gardiens, il doit en outre contrôler l'hygiène des locaux et veiller à la non contagion lorsqu'il y a des malades. C'est un poste qui favorise l'ascension sociale.
Les entrepreneurs : Au milieu du siècle, les entrepreneurs privés font leur apparition dans les prisons. Ils prennent la place du commissionnaire et enlèvent certaines tâches aux gardiens, celles grâce auxquelles ils s'enrichissaient, ce qui ne va pas sans poser de problème de cohabitation. Ils doivent s'occuper de tout ce qui est d'ordre matériel, comme le vestiaire, les objets de culte, de chauffage, d'éclairage, la nourriture... En contrepartie, ils ont le bénéfice de la pistole et du travail des prisonniers. Ce travail, au départ vu comme un moyen d'amender les détenus, devient alors un moyen de faire des profits. De plus, ils profitent du réinvestissement des salaires dans la cantine. Le travail des détenus laisse peu de trace dans les archives mais assez pour savoir qu'il s'agit en majorité de travaux en rapport avec l'industrie du textile (laine et cuir> et de la chaussure.
Les conflits entre les représentants des entrepreneurs et les gardiens sont quasi permanents.
 
Population carcérale et criminologie :
 
La prison de Louviers est une prison modeste qui se place, en terme d'effectifs, denjêre celles d'Evreux et de Pont-Audemer et devant celles de Bernay et des Andelys. En moyenne, elle reçoit entre 20 et 40 détenus, mais ses effectifs sont très instables.
Des pics d'enfermement sont repérés et mis en relation avec des phénomènes sociaux.
Par exemple, de mauvaises récoltes peuvent avoir pour conséquence indirecte une augmentation d'un type de délinquance comme les vols de subsistance ou les délits forestiers comme c'est le cas en 1828 à Louviers. (Code forestier adopté en 1827)
Les changements de régime ont également une influence sur la courbe de l'enfermement. En 1830, on remarque une forte chute des entrants en même temps que les bouleversements politiques. Car, même si à Louviers, la Révolution est presque passée inaperçue comme le signale Louis Béquet dans L 'histoire de Louviers à travers les choses, les services judiciaires ont tout de même été atteints pendant quelque temps. La remontée du nombre d'entrants en 1831 peut être due à une volonté de rattraper le retard de 1830 dû à ces perturbations.
Les changements dans l'économie ont eux aussi un poids sur le nombre d'entrants dans la prison de Louviers en 1833/1834, ce nombre est assez élevé pour être mis en parallèle avec la baisse des salaires ouvriers qui augmente la misère et provoque des troubles. Six ouvriers se retrouvent d'ailleurs enfermés à Louviers pour avoir participé â une coalition. De même en 1837, le malaise économique touche durement l'industrie textile de Louviers qui licencie, la misère gagne alors à nouveau et est renforcée par les mauvaises récoltes de 1839.
Les détenus ont été divisés en 3 groupes : les hommes, les femmes et les jeunes, ce qui représente en tout 1170 détenus dans ma base de données. Les femmes sont toujours fortement minoritaires. Entre 1823 et 1848, sur le total de la population carcérale, seulement 24% sont des femmes.
Hommes : échantillonnage qui va de l'an XII à 1849 et qui porte sur 13 almées complètes.
L'archétype du délinquant emprisonné à Louviers est un homme majeur et voleur issu d'un milieu populaire. Les détenus de Louviers sont en majorité issus de milieux peu favorisés. D'après les 300 métiers dont nous avons mention dans notre base de données concernant les hommes, les plus nombreux sont journaliers ou ouvriers. Plus d'un tiers (34,5%) des hommes enfermés le sont pour vol, recel ou escroquerie. Sur l'ensemble de la population carcérale, le vol représente tout de même 52% des délits.
La violence de la société du XIXe siècle est également un élément important dans notre étude. On la retrouve sous des termes différents tels que : coups et blessures, outrages, injures, rébellion ... Ces délits de violence représentent près de 20% des délits des détenus et sont dirigés pour la plupart, contre les représentants de l'ordre comme la police, la gendarmerie ou les gardes forestiers.
La peur de l'autre est également une des composantes de la société du XIXe siècle. La répression du vagabondage est une obsession car elle apparaît en opposition avec les valeurs bourgeoises de cette société. Ce délit représente tout de même 14% des détenus de Louviers.
 
Les femmes prisonnières : 457 femmes ont été recensées dans la base de données entre 1823 et l84~9. Elles ont en majorité entre 20 et 30 ans et entre 41 et 50 ans. Ce sont également des femmes du peuple puisque, comme les hommes, elles sont en majorité journalières ou ouvrières de l'industrie textile. Une différence cependant: elles sont tout de même 21% a être issues des métiers du commerce et beaucoup d'entre elles sont d'ailleurs condamnées pour des délits spécifiques à leur profession.
Leurs délits sont à peu de choses près identiques à ceux des hommes. Pourtant, une différence existe en ce qui concerne les délits d'infanticide qui ne sont attribués qu'aux femmes. Il est vrai qu'elles sont les seules à avoir en charge réellement les enfants en parallèle d'ailleurs avec une vie qui cumule de plus en plus le travail avec la vie familiale. Une seconde exception existe en ce qui concerne cette fois les délits de mauvaise mœurs. Les femmes sont cette fois encore les seules à être jugées sur leurs mœurs, non pas que les hommes soient sans reproches de ce côté mais la vie des femmes est plus contrôlée et controversée. La femme qui ne correspond pas à l'image coquette soumise et maîtrisée est automatiquement mal vue. Les débordements féminins sont moins tolérés que ceux des hommes, et sont considérés comme troublant plus profondément l'ordre social.
La raison de leur infériorité numérique vient du fait que la femme est encore en majorité tenue écartée de la vie publique et elles apparaissent donc moins devant les tribunaux.
En ce qui concerne les peines des délits qu'elles ont en commun avec les hommes, comme le vagabondage ou les vols, leurs peines ne sont pas plus lourdes.
Les enfants détenus de Louviers :  au XIXe siècle, les enfants sont reconnus comme des êtres différents des adultes mais ils ne sont pas punis différemment et doivent assumer leurs fautes. Malgré les tentatives de protection de l'enfant par le code pénal, les jeunes sont toujours enfermés parmi les adultes et ce tout au long du siècle car même lorsque des maisons de correction ou des colonies agricoles sont ouvertes, ils passent encore un tong moment avant leur transfert dans les prisons départementales. C'est dans la seconde moitié du siècle qu'ils sont envoyés dans des maisons spéciales pour les jeunes et qui ne pratiquent pas la mixité. Ce sont des maisons de correction ou des colonies pénitentiaires, les garçons sont envoyés aux Douaires à Gaillon pour 70% d'entre eux et les filles sont envoyées à l'atelier refuge de Darnétal (56%) ou dans des écoles de réforme (comme celle de Saint-Joseph à Frasnes le Château).
Les jeunes détenus subissent les mêmes difficultés conjoncturelles que les adultes et sont enfermés pour les mêmes délits. Près de 80% d'entre eux le sont pour des vols, 15% pour vagabondage ou mendicité…
 
Conclusion
 
L'étude de la prison de Louviers est un cas concret du télescopage entre les réalités d'en haut que sont les lois, les décrets et les circulaires, les sources officielles et la réalité que le dépouillement des archives permet d'entrevoir, c'est à dire la vie des hommes et des femmes qui subissent ou qui travaillent en prison. A travers cette étude, c'est l'échec des idées généreuses et philanthropiques de 1791 qui est mis en évidence. Dès le départ, les conditions matérielles rendent irréalisables les bonnes volontés. En outre, la négligence, la méchanceté et la cupidité de certains gardiens enlèvent à la détention ses vues philanthropiques. L'Etat a laissé pourrir la situation par son manque d'engagement financier et son désintérêt pour la question pénitentiaire. La réelle nouveauté de cette prison réside bien dans l'apparition de multiples intervenants en son sein et dans le début de sa « privatisation ».
La population carcérale de cette prison de Louviers nous donne à voir la misère du XIXe siècle. C'est le petit peuple qui est enfermé. L'étude de la population carcérale s'apparente de toute évidence à une étude de la misère et de la dépravation de la société du XIXe siècle. Avec cette prison du XIXe siècle, n'est-ce pas l'ancien régime qui perdure sous bien des aspects un régime alimentaire plus que juste qui affaiblit les corps et les esprits, le coucher sur la paille et des inégalités qui y persistent. Bâtiment inadapté, des règlements tâtonnants et uniquement disciplinaires, personnel incompétent ou qui ne peut mieux faire, voilà quelle est la réalité de la prison de Louviers et des prisons départementales en général.
Retour à la page d'accueil Conférences