« L’eau
tient une place privilégiée dans l’histoire de notre cité. La rivière
qui n’est pas étrangère au peuplement du néolithique, explique aussi
la cité gallo-romaine, surveillant le passage de l’Eure à Folleville.
Mais, c’est au
Moyen Age que l’avantage défensif se double d’un intérêt économique :
la ville se développe alors
en un point où la rivière se divise en de nombreux bras et où l’accès
au courant d’eau claire et vive bénéficie au maximum de parcelles, permettant
le traitement du cuir et de la laine.
L’eau modèle
même le paysage urbain et hiérarchise la richesse foncière : aux
plus riches les bords amont qui contrôlent (ou confisquent) l’écoulement
des eaux. Aux plus modestes les bords avals puis les rues sèches de la ville haute.
Il
faut cependant gérer très tôt la multiplicité des usages de la rivière,
navigable de Chartres à la Seine, productrice d’énergie pour les moulins,
indispensable au blanchiment des toiles, au lavage des cuirs, aux lavoirs
domestiques et pourvoyeuse de poissons. Sous la houlette des seigneurs,
au premier rang desquels l’archevêque propriétaire, qui perçoivent des
droits sur l’usage des portes, vannages et moulins, la tradition attache
à chacun des bras un usage qui lui est propre. Les mariniers naviguent
sur le bras de l’Epervier, creusé en
1516, le bras de la Londe alimente lavoirs et tanneries, le bras du
Gril régularise le débit des bras urbains, les bras de Folleville, Bigard,
de la Villette produisent l’énergie, tandis que les curandiers blanchissent
dans les canaux des prairies humides de Folleville et du Becquet.
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Mais,
cet équilibre est bouleversé à partir du milieu du XVIIe siècle
par le développement économique qui raréfie les sites hydrauliques disponibles.
Cette situation est aggravée par les progrès techniques qui exigent
une régularité accrue des débits et des puissances pour alimenter des
machines de plus en plus sophistiquées et performantes, mais qui tolèrent
difficilement des interruptions de cycles. Un teinturier, Ricard, s’établit en l’an II sur le bras de l’Epervier, brisant le modus-vivendi,
et c’est le début d’un long conflit entre usiniers et mariniers. Il
faut imaginer l’importance de la rivière, siège d’une circulation intense,
pour la ville à cette époque. Deux ports, celui des Lavandières ( sur
le quai de l’actuelle place de la Poissonnerie) et celui de la Porte
de l’Eau ou du Quai de Bigards sont particulièrement actifs. L’Eure
pourvoit les besoins en matières premières, laines et peaux, tans et
écorces, fer et fonte. Elle assure le transit des vins du Val de Loire,
des céréales et farines de la Beauce, écoule une partie des productions
de la ville et sert au flottage du bois. Mais la traversée de Louviers
est un véritable casse-tête : outre les droits féodaux à acquitter,
il faut franchir de multiples portes, vannes, ponts, moulins, et à chaque
fois, atteler, dételer les chevaux de halage. Du point de vue des fabricants,
les nuisances de la navigation ne sont pas moins grandes : la manipulation
des portes marinières casse le débit, débraye les roues motrices, arrête
ou perturbe les cycles de production, sans parler des bois flottants
qui endommagent portes et vannes.
La paix
ne vient qu’en 1811 avec le creusement du canal de la Villette et le
transfert du bassin des Lavandières à celui de Folleville. Mais,
à peine le problème est-il réglé que la rivière navigable est déclassée
en 1869, cédant le pas à la route et au chemin de fer.
D’autres
conflits éclatent : les usiniers s’opposent aux pêcheurs qui jettent
leurs gords dans les canaux productifs, et aux riverains eux-même divisés.
Tout cela est affaire de hauteur d’eau. Qui contrôle les vannages amont
contrôle les débits, au risque de noyer prairies et jardins en ne laissant
que les restes aux riverains avals. Les plus gros industriels qui mènent
une véritable stratégie d’acquisition remettent en question les droits
acquis et les traditions d’usage que les privilèges féodaux avaient
figés. Une réglementation complexe est sensée remédier au problème en
définissant une fourchette des hautes eaux. Mais des dérogations
sont autorisées en l’an II et les conséquences sont catastrophiques.
C’est alors le début d’une nouvelle vague de polémiques qui va durer
trente ans, ponctuée par des procès (Conflits de Fontenay, Ternaux,
affaire Bourgois, affaire de la destruction du canal du
Gril par Hache, affaire du pont des Quatre Moulins) et même un crime
de sang (l’industriel Germain Petit est tué par son rival Ribouleau
en 1831).
Les
litiges aboutissent finalement à un partage du pouvoir entre les « gros »,
Ternaux, pour les bras de Fécamp et des Moulins, Bourgois pour ceux
du Gril, de la Londe et de l’Ermitage ; et une ordonnance royale
de 1830 fige définitivement les acquis des conflits, alors que le développement
de l’énergie thermique et de l’usage de la vapeur (la pompe à feu) entament
peu à peu la prééminence de l’énergie hydraulique et du moulin à eau.
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Que
reste-t-il aujourd’hui de nos « rues d’eaux » : des sites
remarquables, les quais réhabilités des Lavandières et de l’île Petou,
vingt-et-un bras et canaux, parfois ignorés, quelques lavoirs et vannages,
et des chutes, qui, faute de roue à pousser, grignotent patiemment leurs
berges …
Enfin,
on ne peut pas parler de l’eau… sans parler d’un fléau dont notre ville
fut maintes fois victime : l’inondation. Celles de 1704, 1784,
1792, 1840, 1841 sont restées dans la mémoire de l’histoire, bien que
les Lovériens aient déplacé en 1704, le cours de la Ravine pour faire
suivre à l’eau le fossé de la porte de Rouen. D’autres inondations eurent
lieu en 1910, 1966, 1996… »
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