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Histoire du Couvent Saint-Louis-Sainte-Elisabeth
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Résumé de deux conférences prononcées les 31 octobre et 21 novembre 1964 par M. Louis BEQUET Vice-Président de la Société

L'Histoire du Couvent de Saint-Louis - Sainte-Elisabeth.

 

 

Avant-propos

Vous savez combien nombreux étaient autrefois - avant la Révolution surtout - les établissements religieux couvents ou monastères, prieurés, abbayes, ... Louviers, pour sa part, a possédé cinq couvents, sans compter les groupes parfois importants de sœurs détachés dans notre ville par des communautés extérieures.

Ces couvents ont été : Sainte-Barbe (bien que situé sur le territoire de la commune voisine de Mesnil-Jourdain, cet établissement a toujours été considéré comme lovérien), Saint-François, son successeur, Saint-Lubin qui était un prieuré, la Miséricorde et Saint-Louis-Sainte-Elisabeth.
Si nous avons choisi de vous conter l'histoire de ce dernier établissement, c'est pour plusieurs raisons.
D'abord parce que ce couvent a été le plus important des cinq, par la durée de son existence, le nombre de ses religieuses et par le rôle qu'il a joué comme maison d'éducation et, accessoirement il est vrai, comme établissement hospitalier.

Et puis, et surtout, peut-être, parce que nous sommes en ce moment dans ce couvent même, je veux dire, évidemment ce qu'il en reste, ce bâtiment principal de l'Hôtel-de-Ville dans lequel je vous parle constituant le dernier vestige du monastère en voie de reconstruction au moment de la dispersion des religieuses lors de la Révolution.
L'histoire porte sur 176 ans, de 1616 à 1792 ; elle est très riche, surtout au début, en péripéties et en vicissitudes.
Je dois placer ici, dès le début de cet exposé, une remarque importante. Chacun sait que la principale de ces péripéties constitue l'aventure, ou plutôt le drame dit des «Possédées».
C'est un sujet délicat. Nous ne jetterons pas sur lui un voile pudibond, mais nous n'avons pas l'intention de vous le conter en détail (nos prédécesseurs l'ont d'ailleurs fait, à la fin du siècle dernier, et l'on peut consulter leurs travaux à la Bibliothèque Municipale). Nous en parlerons, mais nous n'en ferons pas l'essentiel de notre étude, et nous n'aborderons ni l'aspect purement scientifique, médical pourrait-on dire, lequel n'est pas de notre ressort, ni encore moins, bien entendu, sur un ton ironique ou égrillard. En vous contant les faits principaux, nous n'oublierons pas que le drame s'est terminé par le supplice d'un homme.

GENESE DU COUVENT

Pour comprendre la vie de notre couvent, il faut d'abord en étudier la genèse. Pour cela, transportons-nous, Si vous le voulez bien, à Paris en 1615. Car le couvent lovérien n'est pas né à Louviers, mais à Paris. La rue de la Verrerie, dans le IVème arrondissement actuel, près de l'Hôtel-de-Ville, possédait en ce début de XVIe siècle, un hôtel particulier qui existe peut-être encore, et qui était celui de M. Marigot, Garde des Sceaux de France.
C'était une maison pieuse. Si nous y pénétrons par quelque après-midi de cette année 1615, nous avons chance d'y rencontrer des gens qui vont jouer dans notre récit un rôle important.
D'abord, un prêtre, grand habitué du lieu, qui a nom Pierre David, de la paroisse voisine de Saint-Jean-en-Grève. C'est un homme âgé (on était «âgé», à cette époque, dès cinquante ans ; depuis, nous avons gagné du temps heureusement!), un grand «vieillard» à la démarche grave, aux gestes mesurés, souvent en prières et en actions de grâce. Son visage pale, sa barbe longue et négligée, son air austère lui donnent l'aspect d'un homme entièrement plongé dans la spiritualité. Il est le confesseur de presque toutes les nobles dames du quartier, dont il a toute la confiance. Détail important pour nous il est en relations d'amitié avec l'évêque d'Evreux, Monseigneur Péricard.
Le salon de Madame Mangot est assidûment fréquenté aussi par quatre femmes ou jeunes filles qui vont nous intéresser particulièrement. Catherine Le Bis, Veuve Hennequin, habite à côté, rue des Quatre-Fils. Elle est la veuve de Jean Hennequin, Procureur à la Cour des Comptes de Rouen qui a eu des malheurs. Convaincu d'énormes concussions, condarnné à mort, il a été exécuté le 14 mars 1602; Henri IV, vous le savez, ne plaisantait pas toujours ... La veuve s'est réfugiée à Paris, où habite son frère. Détail important encore : elle est demeurée très riche.
Française Gaugain, belle jeune fille de vingt-cinq ans, est la fille adoptive de Madame Hennequin. Elle est née à Patay, dans le département actuel du Loiret, de parents pauvres, mais elle a montré de bonne heure une grande dévotion et une passion d'instruire les enfants. Or, les Mangot ont, près de Patay, une maison de campagne; sur recommandation d'une amie, Madame Mangot a fait venir Françoise à Paris et l'a fait instruire. Puis, sur conseil de l'Abbé David, Madame Hennequin a adopté Françoise.
C'est aussi David qui a introduit chez la veuve et chez Madame Marigot deux autres jeunes filles, les sœurs Caron, Claude et Marie que nous retrouverons, elles aussi.
Or, nous sommes, je l'ai dit, au début du XVIIème siècle, peu après le règne du «bon roi Henri»; on commence à parler d'un jeune prédicateur, «Monsieur Vincent»; un grand courant charitable traverse le pays; de nombreux établissements religieux sont fondés, pour la plupart à vocation hospitalière.
Dans ces conditions, David n' a pas grand mal à persuader la veuve Rennequin que la meilleure façon de racheter les péchés de son mari serait certainement de fonder un couvent. Elle a de l'argent et, chez elle, trois jeunes filles pieuses qui pourraient constituer le noyau d'une communauté, dont elle serait, évidemment, la supérieure. Le Directeur, lui aussi, est tout trouvé, car David ne demande qu'à se dévouer pour ce rôle.
La Veuve accepte. A cause de ses relations avec l'Evêque d'Evreux, David propose de choisir Louviers comme siège de l'établissement projeté. La première chose à faire est d'obtenir l'autorisation des bourgeois lovériens.

LA FONDATION DU COUVENT

 Nous voici donc revenus en notre bonne ville, le dimanche 19juin 1616.
Ce jour-là, pendant que carillonnent sous la haute flèche aujourd'hui disparue, les cloches de Notre-Dame, tout ce que Louviers compte de notabilités: fonctionnaires, bourgeois, représentants des corporations etc... se dirigent vers la rue de 1'Ile.
A l'extrémité de cetle rue, côté Nord, à l'emplacement actuel des ruines du couvent Saint-François, se trouve alors une importante maison que son propriétaire, Robert de Bosc-Roger, a mise à la disposition de ses concitoyens comme Maison de Ville, après que l’ancienne, située près de la Porte de Rouen, eut été accaparée par le Gouverneur pour son usage personnel.
On s'installe, en se montrant les grands personnages.
Voici Messire Pierre Le Blanc Du Rollet, Chevalier de l'Ordre du Roy, Maréchal de Camp, maître des Cérémonies de France, Prévôt Général de Normandie, Gouverneur de la ville et de la citadelle de Louviers.
Voici Messire Louis Le-Sergent, licencié en droit, bailli de Louviers, représentant de l'Archevêque-Comte.
Et puis, Messires Papavoine et Jacques Pellet, curés de Notre-Dame et les antres prêtres de Louviers ... Messieurs les avocats Le-Forestier, Simon Behotte et Michel De-La-Val, le Docteur Bréant, etc
Le bailli demande le silence et déclare qu'il a reçu une requête des Frères et Sœurs Pénitents laisser les héritages Hospitaliers du Troisième Ordre de Saint-François (Frères et Sœurs, parce qu'à ce moment, il était question de fonder aussi un couvent d'hommes). Ceux-ci demandent, d'une part, l'autorisation de construire à Louviers, hospice, église, cimetière et logis et, d'autre part, le respect des privilèges à eux concédés par le Pape, notamment en ce qui concerne les impôts «municipaux».
Le Gouverneur est d'avis de donner l'autorisation à la seule condition que les religieux et religieuses ne fassent, en dehors du couvent, aucune acquisition territoriale dans la ville, cela afin de aux mains des familles.
Après consultation des principaux notables, l'assemblée accepte qu'il soit fait droit à la requête «sans charge ni subvention». Il en est ainsi décidé. (19juin 1616).

Ce premier accord obtenu, il restait à financer l'entreprise et à obtenir l'autorisation du Roi.
Le financement ne pouvait être assuré que par la veuve Hennequin. Elle fût généreuse. Bîle donna 18 000 livres, ce qui représente plus de 250 000 francs actuels, ou vingt-cinq à trente millions d' «anciens francs » comme on dit encore, c'est-à-dire de francs 1958.
Quant à l'autorisation du Roi, Monsieur Mangot étant, nous ne l'avons pas oublié, Garde des Sceaux, elle sera obtenue facilement. Facilement et vite, puisqu'elle est accordée dès le 22 juillet 1616, un mois et quelques jours après celle des habitants de Louviers.
Le Roi déclare qu'il est à sa connaissance que les promoteurs du couvent ont acheté plusieurs terrains à Louviers pour la somme de 20 000 livres (on avait dû majorer un peu, et anticiper les acquisitions territoriales) et qu'ils ont fait fonds de 2 200 livres de rente tous les ans, soit 1 600 pour la nourriture et l'entretien des premiers religieux et des six premières religieuses (il est toujours question de deux établissements) et 600 pour la nourriture des «pèlerins» que les hôpitaux des couvents hébergeront.
Le Roi exempte les propriétés des religieux de tous impôts royaux, à trois seules charges:
- bâtir une église en l'honneur du Roi Saint-Louis, son aïeul qui était au Tiers-Ordre de Saint-François.
- ajouter le nom de Saint-Louis au nom de Sainte-Elisabeth primitivement choisi par les fondateurs.
- célébrer tous les ans, la principale messe à l'intention de Saint-Louis et des rois, ses successeurs.
Une dernière autorisation, celle de l'Evêque du lieu choisi, est bien entendu obtenue promptement. Un couvent va naître à Louviers, un et non deux, à la suite de difficultés portant sur des questions d'habit, le couvent d'hommes restera «en panne» jusqu'en 1644, date où les religieux de Sainte-Barbe viendront s'installer en ville.
A ce moment, le couvent de femmes aura déjà vécu pendant près de trente ans, et fait parler de lui...
En attendant, David, qui s'est chargé de toutes les formalités nécessaires à la fondation, David qui n'a pas oublié de se réserver, nettement spécifié dans les titres, la fonction de Directeur à vie du couvent, envoie à l'Evêque Péricard une lettre débordant de satisfaction, de piété et d'enthousiasme. En voici un extrait:

«Vous verrez, Monseigneur, toutes ces saintes filles pratiquer la vertu et une mortification exemplaire ; leurs murailles seront hautes jusqu'aux nues, leurs parloirs toujours fermés avec de hautes et épaisses grilles ; elles auront toujours leurs voile ssur le visage ; il y aura aux grilles du monastère des pointes grosses comme le bras. Ces religieuses seront saines, Monseigneur, détachées des choses de la terre, et ne converseront qu'avec les anges»

C'est presque trop beau...

LES DEBUTS

Catherine Hennequin arrive à Louviers au début de 1617, semble-t-il, et s'installe avec Françoise Gaugain et les sœurs Caron dans une maison de la rue de l'île, maison qui constituait probablement une partie des immeubles de Robert de Bosc-Roger, chez qui nous avons vu les bourgeois assemblés lors de la réunion d'autorisation.
En septembre de la même année, le Père Vincent Mussart, supérieur parisien de l'ordre, vient donner l'habit à 13 ou 14 filles ou veuves.
Catherine Hennequin doit être, comme il a été entendu, la première supérieure; elle aura comme assistante, Françoise Gaugain. (la première est devenue Catherine-de-Jésus et la seconde, Françoise-de-la Croix).
Mais, à propos de cette nomination, le couvent, à peine né, va connaître ses premières difficultés.
Car Mussart et David ont chacun leur idée en tête. Le premier, fougueux Vicaire Général d'un Ordre qui renaît après avoir connu un long moment de décadence, a le plus grand désir d'avoir sur les nouvelles maisons, une autorité aussi grande que possible. Quant à David, fort de ses relations avec l'évêque Péricard, dont il connaît le caractère faible, il n'aspire qu'à donner au couvent qu'il a fondé et duquel il est, ne l'oublions pas, le Directeur à vie, une autonomie aussi entière qu'il se pourra. Entre les deux hommes, entre leurs deux conceptions, le conflit est probable. Il ne tarde pas à éclater.
Le Père Mussart, venant donner le voile aux nouvelles religieuses, a amené avec lui deux sœurs du couvent Sainte-Elisabeth de Paris pour instruire les débutantes. Et, afin de mieux attacher le couvent à son ordre et de le plier à son autorité, il a fait de l'une de ces sœurs la supérieure provisoire.
Cette désignation provoque aussitôt des remous. Et, probablement des querelles assez âpres entre les Parisiennes et les Normandes. Après, elles seront d'autant plus ces querelles, que les moines de Sainte-Barbe, couvent du même Ordre, se mettent de la partie par l'intermédiaire de l'un d'eux désigné comme confesseur de la maison. Et il est vraisemblable que Pierre David, Catherine Rennequin et Françoise Gaugain ne font rien pour arranger les choses.
Finalement, après avoir, peut-être, été enfermée un moment dans une «prison», la supéneure provisoire est déposée, renvoyée à Paris avec sa compagne et Catherine Hennequin est nommée enfin supérieure (mais la véritable supérieure sera Françoise Gaugain qu'on appellera bientôt la « Petite Mère Françoise»). Le Père Mussart proteste, se déclare «insulté» et provoque une inspection de la maison (où il se peut que l'on ait déjà constaté quelques désordres en dehors de ceux qu'ont amenés les querelles intestines). On ne trouve rien d'anormal.
Pendant les mois et les années suivantes, David va agir de façon à secouer le joug de Paris et à constituer une maison qui, ne relevant plus guère que de l'autorité débonnaire de I' Evêque sera, en fait, à lui seul, David. Il y parviendra en 1625. Mais entre temps, une violente rafale aura failli faire sombrer le couvent.
L'édification des bâtiments n'a pas encore commencé. Car, on a bien acquis des terrains près de la Porte de Rouen, mais les querelles, l'incertitude ont conduit à différer le début des constructions. Or, en 1622, Catherine Hennequin, supérieure nominale meurt. Et l'on s'aperçoit seulement alors que sa donation comportait une clause restrictive: elle devait se trouver annulée de plein droit, en cas de non construction (ou, sans doute, non début de construction) dans un certain délai qui n'a pas été respecté. Les héritiers « sautent» sur cette clause et font casser le legs. Le couvent est presque ruiné. Va-t-il être, à peu de chose près, mort-né? Non, Car, fort opportunément, grâce aux démarches pressantes de David et de Françoise Gaugain, un autre grand bienfaiteur vient au secours de la maison. Une noble dame, Geneviève Le Beau, femme Le Boucher, Seigneur d'Orsay et Des-Brosses (dont le beau château, situé dans le département actuel de la Seine-et-Oise deviendra plus tard la propriété du Général Moreau) accepte de combler le déficit, de «boucher le trou», en faisant don au couvent de la valeur de 1 008 livres de rente, soit à peu de chose près, l'équivalent de la donation Hennequin. On respire. Et, comme le nouveau don est consenti à condition que les bâtiments soient commencés dans un délai de quatre ans, on ne va pas tarde à se mettre au travail.
Pourtant, avant la mise an marche définitive, va se produite une dernière secousse. Après la mort de Catherine Hennequin, Françoise Gaugain, qui a maintenant 31 ans, est devenue la supérieure an titre. (», an 1625, elle tombe malade, d'une maladie qui ne peut être facilement soignée à Louviers et sur la nature de laquelle on ne peut faire que des conjectures. Elle part pour Paris, accompagnée de David, afin de consulter les médecins. Elle y restera. Elle est descendue chez M. Mangot. Là, il lui est offert de devenir supérieure d'un couvent parisien en cours de création au Faubourg Saint-Germain. Françoise sera supérieure des Religieuses Hospitalières de la Charité Notre-Darne qui suit la règle de Saint-Augustin. Elle fait venir à Paris pour entrer dans son nouvel établissement, plusieurs religieuses de Louviers, entre autres, les sœurs Caron. David rentre seul dans notre ville. S'il a dû se priver des services de Françoise Gaugain, il n'en demeure pas moins le maître, maintenant incontesté, du couvent Saint-Louis-Sainte-Elisabeth.

LA MISE EN MARCHE DEFINITIVE

Le Directeur va veiller à ce que l'on ne retombe pas dans les hésitations et les retards qui ont failli conduire les sœurs à la ruine et à la dispersion. Il faut d'abord construire. En 1617 et 1618, on avait acquis il parcelles de terrain, 8 autres seront achetées de 1625 à1634 et le terrain claustral se trouvera ainsi constitué à peu près tel qu'il demeurera ensuite ~ la fin du couvent. Il a pour limites la me de la Porte de Rouen (rue de l'Hôtel-de-Ville actuelle), la rue de la Moue (rue Saint-Louis), le Grand Cimetière Place de la République) et, du côté sud, une ligne d'abord proche de la me du Mûrier actuelle, puis an s'écartant nettement. Sur ce vaste espace d'environ un hectare et demi, les principaux bâtiments claustraux vont être édifiés entre 1625 et 1640; de petites constructions existent déjà sur les parcelles acquises: elles pourront servir à divers usages. David ne verra pas la fin des grands travaux, car il meurt an 1628.
Quel était l'aspect du couvent d'alors? Il nous serait difficile de le dire, vu la destruction de toutes les archives à la fin de l'affaire des «Possédées», Si nous n'avions, très heureusement, un plan daté de 1696. Ce plan, malgré quelques imperfections, telle l'absence d'échelle, constitue un précieux document, car comme aucune modification importante n'a été apportée aux constructions entre 1640 et 1696, il permet de se faire une idée aussi précise de ce que fut, à la fin de son édification, le couvent neuf.
En bordure de la rue de Rouen, se trouvaient deux bâtiments séparés par une cour d'entrée carrée que limitaient deux autres constructions formant équerres avec les précédentes et s'appuyant àleur extrémité nord sur l'église, située à peu près an centre de la cour actuelle de l'hôtel de ville. Les appartements bordant la rue comprenaient notamment l'hôpital (avec son apothicairerie et sa petite chapelle particulière) et les pièces réservées à l'Evêque lors de ses visites. Ceux qui encadraient la cour abritaient le logement des tourières, la dépense et l'infirmerie.
Partant de l'angle nord-est de l'église, se trouvait le bâtiment principal, il était construit en forme d'équerre, un bras traversant la cour actuelle, l'autre se trouvant à l'emplacement de notre « salle des Colonnes». C'était le logement conventuel proprement dit, où les sœurs avaient dortoir, cuisine, réfectoire, etc... A l'intérieur de l'équerre, une galerie à gros piliers carrés constituait le cloître.
Enfin, sur l'emplacement de la rue des Pompiers actuelle et au-delà, on pouvait voir le cimetière, le bâtiment des pensionnaires avec leur cour particulière et, en bordure du Grand Cimetière, une vaste grange. Le reste du terrain était occupé par des jardins et des vergers.

LA POSSESSION

Voilà le couvent tout neuf de 1640. Son état «physique» est excellent, malheureusement on ne peut en dire autant de son état moral, qui lui, est mauvais et le deviendra plus encore au cours des années qui vont suivre. Nous voici arrivés à l'étude de l'affaire des prétendues «Possédées».
Je vous ai indiqué en débutant que nous n'en ferions pas l'essentiel de notre étude, mais que nous ne saurions la passer sous silence, Car, incontestablement, elle fait partie de l'histoire du couvent. Je vais donc essayer de vous dire l'essentiel de ce qui s'est
Je le ferai en m'efforçant de ne choquer personne. Je suis persuadé d'ailleurs que ce que j'ai à exposer ne saurait offusquer ou blesser quiconque, croyant ou non, Car ce n'est pas s'attaquer à la Foi, toujours respectable même Si On ne la partage pas, que de dénoncer, (ou plutôt de laisser parler des faits qui dénoncent) le parti pris, la sottise et la superstition.
D'autre part, dans un récit concernant des événements anciens et controversés, il me semble que le commentateur objectif; honnête, a pour devoir essentiel de sérier les choses, de séparer soigneusement ce qui apparaît comme certain de ce qui ne l'est pas, même Si ce qui n'est pas oertain est possible ou probable.
Je vais donc vous présenter les faits principaux d'abord, en les groupant en trois catégories : ce qui paraît certain, ce qui est presque certain, ce qui est possible ou probable, mais non prouvé. Dans cette affaire, trois choses apparaissent comme certaines. D'abord que, pendant environ trente ans de la fondation à la fin du procès (1647), il y a eu au couvent une épidémie d'hystérie; elle fût tantôt latente, tantôt aiguë, mais aucun doute n'est possible les crises constatées - nous y reviendrons tout à l'heure - sont bien, tout à fait caractérisées, les symptômes de cette maladie d'origine nerveuse mais à manifestations multiples, telle qu'on la rencontre tous les jours, dans les hôpitaux spécialisés notamment.
Il   est incontestable aussi que, depuis l'ouverture de l'enquête concernant ces faits (mars 1643) jusqu'à    son terme, c'est-à-dire pendant plus de quatre ans, la manière dont a été menée 1' «instruction» (consistant essentiellement en interrogatoires et en séances d'exorcismes souvent accomplis en public), a considérablement aggravé l'épidemie. Quant à la conclusion du procès, elle est plus que certaine, Si l'on peut dire: elle a conduit au bûcher, non seulement les restes d'un mort, mais aussi un homme en pleine vie, tous deux innocents, tout au moins de ce qu'on leur reprochait d'essentiel (magie et sorcellerie).
D'autre part, on peut considérer comme presque certain que le responsable de l'épidémie est le premier directeur du couvent: Pierre David. De ce couvent, David avait été, ainsi que nous l'avons vu, le véritable créateur; il en fut ensuite le maître et des faits concordants montrent que, sait par vice, soit par un mysticisme outré et dévoyé, il y introduisit des idées et des pratiques qui conduisirent certaines sœurs à un véritable dérangement d'esprit, à une excitation permanente qui ouvrait les portes à la maladie. Françoise Gaugain fût sans doute la première atteinte, mais elle eut la chance ou la sagesse de quitter de bonne heure l'établissement.
David est-il allé plus loin? Des relations coupables ont-elles existé entre lui et un certain nombre de religieuses? Ces errements ont-ils continué avec son successeur? Des scènes de débauche collective se sont-elles produites à l'intérieur du couvent? Nous sommes dans le domaine des faits possibles, mais non certains, non prouves.
David, nous l'avons dit, mourut en 1628. Il fût remplacé par le curé du Mesnil-Jourdain, Mathurin Picard qui se fit parfois aider dans l'exercice de son rninistère par son vicaire, Thomas Boullay. C'est après la mort de Picard survenue assez brusquement en 1642, que commence la véritable affaire des «Possédées».
Picard avait obtenu d'être enterré dans l'église même dû couvent, près de la grille des religieuses. Aussitôt, un certain nombre de ces dernières, notamment les plus jeunes, entrent dans un état d'excitation extraordinaire: elles ont des hallucinations, des délires, elles voient en rêve Picard entrer dans leurs cellules, elles voient aussi des flammes sortir de son tombeau. Puis les choses s'aggravent encore: certaines sœurs ont des troubles cérébraux plus ou moins prononcés; elles font des mouvements convulsifs, elles ont des contractures musculaires, des secousses de tout le corps; elles prennent et gardent pendant un temps parfois assez long, des attitudes extraordinaires, telle celle du corps raidi en arc de cercle touchant terre seulement de la tête et des talons. Certaines font des chutes, ont des pertes de connaissance; elles voient des animaux fantastiques, des bêtes qui veulent les dévorer, des personnages divers, plus ou moins effrayants, ou bien, au contraire, des anges. Le Diable surtout apparaît, sous des formes diverses. Presque toutes (toutes celles qui sont atteintes), profèrent des grossièretés, des injures envers les choses saintes, des blasphèmes.
Cette fois, le scandale éclate. Monseigneur Péricard, l'évêque d'Evreux, est un prélat de Cour, vivant plus souvent à Paris qu'en Normandie et demandant avant tout sa tranquillité. Il voudrait bien étouffer l'affaire, mais c'est devenu impossible. Il vient à Louviers, interroge les religieuses, emmène la plus excitée (ou du moins celle que ses compagnes chargent le plus), Madeleine Bavent, et la fait condamner à la prison perpétuelle par le tribunal ecclésiastique de l'Officialité. Le corps de Picard est déterré clandestinement et jeté dans une marnière. Satisfait, l'évêque retourne à Paris. Il croit l'affaire terminée. Elle rebondit aussitôt.
Car le corps de Picard est découvert, et ses héritiers entament un procès contre l'évêque. D'autre patt, la Cour s'est émue; elle dépêche à Louviers une commission d'enquête. Une véritable instruction va commencer. Cette instruction durera quatre ans! Si longue, sera-t-elle sérieuse et objective? Pourra-t-on ajouter foi à ses conclusions? En aucune façon. Pourquoi? Parce qu'elle sera dominée, menée, orientée de bout en bout par un homme qui a conclu avant d'instruire.
Cet homme, c'est le Père Esprit-de-Bosroger, provincial des Capucins de Normandie.
De Paris, il est arrivé à Louviers dans les premiers, avant l'évêque même. Pour lui, un seul objectif: sauver la réputation du couvent, et surtout celle de l'Ordre. Il y tient d'autant plus qu'il est sur le point de fonder à Rouen une autre maison Sainte-Elisabeth. Or, la réputation de l'Ordre sera intacte, Si l'on établît que tous les troubles du couvent ont été causés par le Démon, que les religieuses sont possédées, car elles ne seront plus alors que de pauvres femmes tourmentées par un être malfaisant, lequel, d'ailleurs, s'attaque de préférence aux maisons les plus saintes. Pour tout remettre en place, il suffira de trouver les complices du Démon, c'est-à-dire les magiciens ou magiciennes qui l'ont introduit dans l'établissement et de les supprimer, de les tuer, pour frapper les imaginations.
De ce couvent, David avait été, ainsi que nous l'avons vu, le véritable créateur; il en fut ensuite le maître et des faits concordants montrent que, sait par vice, soit par un mysticisme outré et dévoyé, il y introduisit des idées et des pratiques qui conduisirent certaines sœurs à un véritable dérangement d'esprit, à une excitation permanente qui ouvrait les portes à la maladie. Françoise Gaugain fût sans doute la première atteinte, mais elle eut la chance ou la sagesse de quitter de bonne heure l'établissement.
David est-il allé plus loin? Des relations coupables ont-elles existé entre lui et un certain nombre de religieuses? Ces errements ont-ils continué avec son successeur? Des scènes de débauche collective se sont-elles produites à l'intérieur du couvent? Nous sommes dans le domaine des faits possibles, mais non certains, non prouvés.
Dans ce dessein, on va faire dire aux filles tout ce qu'on voudra, par la suggestion, l'hypnotisme (de fait) et au besoin, les menaces. Elles désigneront tout de suite parmi elles une magicienne, une sorcière: la plus malade, celle qui attire le plus l'attention, Madeleine Bavent, la prisonnière d'Evreux, et celle-ci, terrorisée, traînée à tout moment d'Evreux à Louviers et de cachot en cachot, se retournera pour se disculper contre d'autres prétendus sorciers : Picard et Boullay.
Inexorablement et, nous le répétons, pendant quatre ans (1643-1647), la condamnation va être préparée. On mène sans relâche les interrogatoires, les confrontations (Madeleine Bavent en subira plus de deux cents), les exorcismes, les recherches de maléfices (ces deux dernières opérations se pratiquent souvent devant un public d'invités!). Il y a pourtant quelques résistances, il y a des sceptiques, notamment le courageux et clairvoyant docteur Yvelin, médecin de la Reine. Les résistances sont brisées (Yvelin est remplacé par deux hommes à tout faire: les docteurs Lampérière et Magnard de Rouen) et le procès, retardé longtemps par des conflits de juridiction, commence au mois de mai 1647 devant le Parlement de Normandie.
Il est, ce Parlement, réputé pour sa sévérité envers les «sorciers)>. Pourtant, le parti pris des accusateurs est Si évident, les résultats de l'instruction sont tellement sujets à caution que, jusqu'au dernier moment, l'issue est douteuse. Les juges hésitent. Mais les Capucins se démènent tant que, finalement, leur thèse l'emporte. Le Père Esprit aura sa victime. Le 21 août, après un arrêt rendu à une faible majorité, le corps mort de Picard et le corps torturé mais vivant de Boullay (l'infortuné avait été condamné à subir la question ordinaire et extraordinaire) sont brûlés ensemble sur la place du Vieux-Marché, près de l'emplacement du bûcher de Jeanne-d'Arc. Madeleine Bavent devenue à demi, sinon complètement folle à la suite du traitement inhumain qu'elle a subi, finira, six ans plus tard, ses jours en prison. (Elle n'avait échappé au bûcher que parce qu'on voulait la garder comme témoin pour un autre procès que l'on se proposait de faire à Françoise Gaugain qui n'avait pas reparu à Louviers depuis plus de vingt ans, mais que certaines «possédées », pourtant, disaient avoir vue au « sabbat» !).

DANS LE COUVENT PACIFIE

 L'arrêt du Parlement de Rouen a ordonné la fermeture du couvent Saint-Louis-Sainte­Elisabeth, la dispersion des religieuses et la vente ou le changement de destination des bâtiments. Le couvent lovérien, cette fois, est-il mon ? Non, au contraire, il est sauvé. Car, d'abord, le décret de fermeture n'est pas exécuté. Les religieuses malades, seules, sont renvoyées dans leurs familles ou soignées dans les hôpitaux (que ne l'a-t-on fait au début I). Elles reviendront presque toutes, l'une après l'autre à Louviers. Et puis - ainsi l'avait d'ailleurs prévu Bosroger - l'affaire a fait tant de bruit qu'un mouvement de très vif intérêt ne tarde pas à se manifester en faveur du couvent et des pauvres religieuses si malmenées par les démons! Les dons affluent; les sœurs sont exemptées de tous impôts. C'est donc d'un couvent pacifié et de plus en plus prospère que nous allons maintenant nous occuper.
Parlons d'abord des sœurs: elles étaient 14 au début; elles seront 52 au moment de la «possession» et 32 en 1789. Parmi elles, on distingue les novices (un an de noviciat avant la prise d'habit) et les professes. Parmi les professes sont les dames de chœur qui ont pour occupations essentielles l'enseignement et l'oraison, et les converses qui font les travaux manuels, assistées de quelques domestiques, dont un meunier (le couvent fait son pain), un jardinier et une vachère. Certaines sœurs ont des fonctions particulières, électives ou non; la principale de ces fonctions est évidemment celle de la Supérieure (qui, depuis 1625, porte le titre de Mère Abbesse), élue pour trois ans au scrutin secret, rééligible, et dont le nom doit être approuvé par l'évêque. La dépositaire (économe), la sœur vicaire, la sacristine, la tourière, et surtout la maîtresse des novices exercent d'autres rôles plus ou moins importants.

Quelle est l’origine des religieuses ?

Socialement, peu d'entre elles proviennent des classes modestes ou pauvres (nous allons voir que le versement d'une dot s'y oppose), mais 75 % sont d'origine bourgeoise et 25 % de naissance noble. Géographiquement, un peu plus de la moitié seulement (51 %) sont normandes, ce qui peut surprendre; 30 % sont parisiennes et les autres (19 %) ont des origines régionales diverses (on compte un groupe relativement nombreux venu de l'Artois).

Comment entre-t-on au couvent?

Le cas, bien entendu, est soigneusement déterminé par la Règle. Pour devenir une religieuse de Saint-Louis-Sainte-Elisabeth, il faut essentiellement: être née d'un légitime mariage, avoir seize ans accomplis et ne pas être à charge du monastère. Cette troisième condition est remplie par le versement d'une dot ou la constitution d'une rente viagère (ou la combinaison des deux procédés). Le montant de la dot varie quelque peu, mais il est toujours important: i 500 livres environ, soit 15 000 francs actuels. Les rentes viagères sont en moyenne de 300 livres.

Comment vit-on au couvent?

On y vit dans l'observation de la Règle (donnée solennellement en 1636 par l'évêque Péricard) qui prévoit tout, depuis le détail du vêtement jusqu'aux moindres gestes à faire ou à ne pas faire en telle ou telle circonstance. (exemple: baiser la terre onze fois pendant la messe) Les religieuses portent selon la saison une ou deux robes grises; elles sont ceintes d'une corde blanche; (un des insignes des ordres de Saint-François; de là le nom de cordeliers donné à certains de leurs moines), elles ont sur la tête un voile qui est blanc pour les novices et noir pour les professes. Pour parler aux gens de l'extérieur, ou durant certaines cérémonies, elles doivent mettre devant leur visage un autre voile d'étamine ; elles ne portent pas de souliers mais des sandales Notre musée possède un échantillon de cette chaussure particulière).
Toutes les occupations de la vie quotidienne sont, bien entendu, soigneusement détaillées d'avance (nous dirions: minutées) : matines à minuit; dans la journée, offices divers et oraison (2 heures par jour); abstinence le mercredi; jeûnes fréquents : 2 confessions par semaine (privées); confession publique chaque fois qu'il y a eu faute publique (exemple : avoir parlé au réfectoire). Un rôle de première importance, nous l'avons dit, est celui de la maîtresse des novices car, par le noviciat, il s'agit d'éprouver les postulantes et de voir si elles ont vraiment la vocation.
D'oû, pendant l'année, des conditions de vie particulièrement sévères : il faut souvent jeûner, se donner la discipline, manger à terre, etc... les plus légères fautes sont sévèrement sanctionnées: on doit porter la « mordache» (sorte de bâillon) Si l'on a été bavarde; parfois demander pardon la corde au cou, porter en collier des fragments des objets qu'on a pu briser par maladresse...
Si la novice satisfait à toutes ces épreuves, elle subit d'abord un examen de conscience mené par un prêtre spécialement désigné à cet effet par l'évêque, et, Si cet examen est favorable, la novice est admise à prononcer ses vœux. (Essentiellement : pauvreté et chasteté).

Vit-on longtemps au couvent?

Oui, mais nous ferons à ce propos une remarque curieuse. Si la durée moyenne de la vie des religieuses est d'environ 60 ans (ce qui est beaucoup pour l'époque), cette durée monte à 75 ans pour les sœurs entrées entre 1708 et 1735 (ce n'est que pour le XVIII ème  siècle que nous possédons des données exactes), et elle descend à 40 pour celles qui ont vécu au couvent de 1735 à 1792. Rien n'a pu donner l'explication de cette surprenante différence.

Que fait-on au couvent en dehors de la vie purement religieuse, de la vie contemplative?

Les sœurs tiennent un hôpital et un pensionnat de jeunes filles; d'autre part, elles font valoir leur important domaine. L'hôpital avait été établi dès 1631 (son existence était une des clauses de fondation), le jour même de la consécration de l'église, mais il ne fit jamais très important, puisqu'il comporta au plus 14 lits destinés à des malades ou à de vieilles personnes ; il se trouvait dans le bâtiment situé à gauche de l'entrée principale; auprès étaient l'apothicairerie et une petite chapelle; les soins étaient donnés par les sœurs converses. Le pensionnat fonctionna d'abord dans un bâtiment spécial situé dans les jardins, puis en 1702, après des agrandissements dont nous allons parler, il s'installa dans un vaste bâtiment situé à l'emplacement de notre « salle des colonnes» et d'une partie du local actuel des pompiers.Il se composait alors d'une grande classe et de quatre chambres contenant en tout 32 lits. Il n'y avait pas de réfectoire particulier: les pensionnaires mangeaient donc avec les sœurs.Le domaine des religieuses était important: il comprenait le domaine claustral proprement dit et les possessions extérieures.Nous connaissons l'étendue exacte du domaine claustral : elle était de 1 ha 42 en 1789.Après 1640, les bâtiments y subirent trois importantes transformations.
En 1702 furent construits des prolongements à chaque extrémité du local situé en bordure de la rue actuelle des Pompiers. Au côté sud, le prolongement partait du cinquième pilier (à partir du centre) du cloître. C'est donc dans le socle de ce pilier que ait trouvée en 1846 une pierre de fondation (on peut la voir au Musée) qui rappelle le début des travaux d1 agrandissement. En 1726 eurent lieu des travaux moins nettement spécifiés, mais qui consistèrent surtout, sans doute, en la construction d'un long et étroit bâtiment en limite du couvent du côté sud. (Cc local devait plus tard servir pendant longtemps de bureaux à la mairie ; il n'a été démoli qu'en 1905).
En 1785 enfin, lut entreprise la reconstruction complète du couvent. Elle ne fût pas menée à sa fin, loin s'en faut, mais il reste de cette époque, le grand immeuble qui borde la rue de l'Hôtel-de-Ville, lequel abrite actuellement d'importants services municipaux. (On y trouve notamment la salle du Conseil Municipal, la salle des Mariages, les Perceptions et la Bibliothèque de la ville, comme vous le savez).
Les possessions extérieures des sœurs augmentèrent d'année en année, grâce à des dons, des héritages, et aussi à une sage gestion des deniers de la Communauté. A la veille de la Révolution, le couvent possédait cinq maisons avec jardins à Louviers et 478 âcres, soit environ 350 hectares de terres, généralement de haute qualité, dispersées dans les villages avoisinants. Le produit des fermages constituait un des principaux chapitres des recettes figurant au budget.

Ce budget, nous le connaissons en détail, car nous en possédons plusieurs exemplaires se rapportant surtout aux dernières années de gestion. Recettes et dépenses s'équilibraient à peu près autour de 200 000 francs actuels (soit 20 millions de francs 1958) par an. Principales recettes: 84 000 francs de fermages, 70 000 francs reçus des pensionnaires et 37 000 francs fournis par les rentes viagères des sœurs. Principales dépenses:l10 000 francs de nourriture et 15 000 francs de gages pour les employés de la maison.

 LA FIN DU COUVENT

En 1789, l'Assemblée Nationale ouvre les portes des Communautés, mais leur laisse le droit de continuer à vivre. La loi du 14 octobre 1790 donne les bâtiments claustraux à l'Hospice Civil de Louviers, tout en accordant des compensations pécuniaires aux religieuses. Le 31 décembre de la même année, 29 religieuses sur 32 disent vouloir continuer à mener la vie commune. Mais deux ans plus tard, en septembre 1792, 24 déclarent être dans l'intention de quitter le couvent. Quelques-unes vont à l'hospice, oû la dernière, Marie Joseph Demerin, (soeur Marianne), s'éteindra en 1842. On peut voir au Musée sa pierre tombale qui porte une curieuse épitaphe.

APRES LA FERMETURE

Le 22 novembre 1795, le Conseil de Ville s'installe dans les bâtiments conventuels. Ils deviendront propriété de la ville en 1804 par échange avec l'hospice qui reçoit cent hectares de friches communales situées à Saint-Lubin. Mais, en 18l3, l'Etat s'empare de la partie haute du domaine qui sera plus tard lotie et percée de rues et il restera à la ville, moins qu'elle ne possède actuellement, puisque le terrain où seront dans la suite construits les bureaux de la marrie et le Commissariat de Police, était alors occupé par une propriété privée.
A quelques réparations près, les bâtiments demeureront dans l'état où les avaient laissés les soeurs pendant plus d'un demi-siècle, jusqu'en 1846. A cette date, et pendant l'année suivante, auront lieu de très importants travaux. Le cloître et les deux bâtiments attenants (c'est-à-dire à peu près tout l'ancien logis conventuel> seront démolis, et la grande construction qui borde actuellement la rue des Pompiers les remplacera pour abriter une école communale. (On remarquera qu'au même emplacement se trouvait le pensionnat des sœurs).
En 1858 et 1861, des modifications seront apportées au bâtiment principal (celui qui, construit en ~785-36, subsiste et dans lequel nous sommes). Il recevra notamment le perron et le campanile qu'il possède toujours.
L'année 1888 verra la construction du Musée, permise par les libéralités de Monsieur Edouard Lanon. En 1899 sera démolie la vieille église du couvent que les Lovériens âgés ont encore connue et qui abritait depuis longtemps le Tribunal Civil.
Enfin, en 1905, après diverses démolitions de bâtiments vétustes, on verra s'élever les bureaux actuels de la Mairie, en dehors, nous l'avons dit, de l'ancien domaine conventuel.

NOTE COMPLEMENTAIRE

L 'histoire du couvent Saint-Louis et l’affaire des « Possédées » avaient déjà été étudiées, et en détail, par la première Société d 'Etudes Diverses et, Monsieur Lucien Barbe, Vice-Président à la fin du siècle dernier, a publié à ce propos. un très important travail - auquel nous devons beaucoup - qui occupe plus de 300 pages, soit la matière d'un gros volume, dans le Bulletin (imprimé) de nos prédécesseurs. (tome V,  année 1898)

Mais de tels écrits, de par leur volume même, sont peu lus et, dans le même esprit qui nous a f ait éditer i' « Histoire de Louviers évoquée par les choses » sous forme d'un livret facile à consulter, nous avons cru bon de diffuser, non en une compilation, mais en une synthèse des travaux anciens, l'essentiel de ce qu'un ami de notre cité se doit de connaître sur cette partie de l'histoire de sa ville.

D'autre part, notre apport personnel, ici, réside dans une étude attentive des données permettant de situer aussi exactement que possible, les anciennes constructions conventuelles par rapport aux bâtiments de I 'Hôtel-de- Ville actuel. Cette recherche a permis d'aboutir à un document qui manquait jusqu 'alors aux archives locales: le plan de superposition qu 'on trouvera en hors-texte dans ce bulletin.

Nous adressons à ce sujet de vifs remerciements à Monsieur Victor Desmonts qui, non seulement a bien voulu se charger de l'exécution matérielle du travail, mais encore a soigneusement mis au point le croquis qui lui avait été remis.

Un très cordial merci également à Monsieur Dauphin qui a mis à notre disposition de précieux documents.

Texte publié dans le bulletin annuel Tome 4 - Année 1964

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