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Le Désert des Carmes Déchaussés de la Garde-Châtel.
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 Le Désert des Carmes Déchaussés
de la Garde-Châtel.

     Passant route de la Haye-Malherbe, qui ne s'est interrogé sur l'origine de cet immense mur qui part d'Ecrosville, hameau de Montaure,  puis, après la Porte aux Pères, s'enfonce dans la forêt sur plusieurs kilomètres pour revenir, par le nord, à Ecrosville. S'il entoure aujourd'hui le parc du château d'Ecrosville, ce mur fut d'abord érigé au XVIIe siècle pour délimiter un lieu isolé du monde extérieur: le Désert de la Garde-Châtel.

       On lira ci-dessous l'histoire de ce Désert, telle que l'écrivit il y a un siècle, Monsieur Victor Quesné, et telle que la publia le numéro 6 du Bulletin de la Société d'Etudes Diverses en 1903.

      Nous n'avons pas changé une virgule à ce texte, on le lira donc à la fois pour son contenu, et pour ce qu'il témoigne d'une façon de penser du début du XXe siècle.

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le mur

la Porte aux Pères, route de la Haye-Malherbe

NOTES : dans le texte,pour accéder à une note, cliquer sur son Numéro. En consultant une note, pour revenir au texte, cliquer sur le Numéro de la note.

          Parmi mes souvenirs de jeunesse, l'un des plus vivaces est celui d'un vieux serviteur de mon grand-père, à la garde duquel j'étais souvent confié pour les promenades aux environs de Montaure. Il était tout à la fois mon mentor, mon maître d'équitation et d'allemand. Ces multiples fonctions peuvent surprendre aujourd'hui, mais n'étonneront plus quand on saura que le fidèle Blondel avait été dragon au Royal-Allemand ou Royal-Cravate, que commandait le Prince de Lambesc, duc d'Elbeuf, et qu'il se souvenait encore de l'allemand, qui faisait partie de l'instruction obligatoire de tous les soldats du Régiment de Lorraine.

          Dragon, c'est ainsi qu'on l'appelait, et ce nom a été conservé à ses enfants et même encore maintenant à ses petits-enfants, se complaisait à parler du passé, dont il avait gardé le costume, car il portait encore le catogan et la coiffure aux ailes de pigeon ainsi que la culotte courte avec guêtres hautes; aussi fût-il l'objet d'une grande curiosité quand il vint à Paris en 1845. En dehors de ses récits de campagnes, il m'entretenait souvent du « Désert » ou du «Couvent du Désert », dont nous longions les murs quand nous nous dirigions du côté de Louviers. C'est ainsi qu'on désignait encore à cette époque, une vaste propriété entourée de hauts murs en pierres et silex taillés, que l'on commençait aussi à appeler « le Parc de la Garde-Chatel ».

          On racontait qu'avant la Révolution, il y avait à l'intérieur de ce Couvent des dispositions spéciales, qui n'étaient pas celles des autres monastères, parce que le règlement n'y était pas celui des couvents ordinaires, Dragon avait vu tout cela, et il avait beaucoup connu un des derniers moines de ce Couvent, lequel resté dans le pays, était mort il y a peu d'années. Longtemps il avait cru qu'il lui serait donné de sonner la cloche comme signal de ralliement et de reprise de possession, puis, sa vie était devenue celle des autres habitants de la contrée. Dragon méprisait profondément ceux qui avaient porté des gilets ou autres vêtements confectionnés avec des étoffes provenant de chasubles ou autres ornements sacerdotaux. « Gens de malheur ! me disait-il, ils finiront tous mal ! » Sa sinistre prédiction s'est souvent réalisée !

Plus tard, je n'avais plus mon mentor, mais je retrouvais sans cesse des traces du couvent disparu. Ce sont ces souvenirs qui m'ont incité à rechercher, puis à retracer l'histoire de ce couvent.

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          Les Carmes Déchaux ou Déchaussés, c'est-à-dire, ceux de l'étroite observance de la réforme de Sainte Thérèse, avaient fondé leur maison à Rouen en 1624, à l'aide de la libéralité du duc de Longueville, seigneur d'Estouteville.

          En 1638, le douzième chapitre général des Carmes Déchaussés, célébré à Rome, décida d'établir pour la France, trois grandes divisions au lieu de deux, comme précédemment, et que chacune de ces trois provinces, la province de Paris, de Bourgogne et d'Aquitaine, aurait un Couvent de solitude très exacte auquel il serait donné le nom de Désert, « à cause qu'il doit être établi dans les bois, éloigné des villes et de la fréquence des hommes ; et  dans lequel les subjets puissent se retirer de temps en temps,  pour y vaquer à Dieu seul, et y reprendre les forces de l'esprit  d'oraison qui pourraient être diminuées par l'emploi aux choses extérieures, qu'indispensablement on doit à ceux qui  demeurent dans les couvents ordinaires. L'extrême solitude et l'austérité de ceux qui se rendent en ces déserts, demandent que ces monastères aient une très grande enceinte ; ils doivent être situés dans les forêts et être diversifiés de lieux champêtres et agréables, de vallons, de collines, de fontaines et d'autres mélanges qui sont propres pour le recueillement intérieur. »

          La fondation du Désert de la province d'Aquitaine eut lieu, la même année 1638, à Gourges, paroisse de Saint-Girons, juri­diction de Blaye. Celui de la province de Paris fut établi seulement en 1660. Fondé le dernier, il eut plus d'importance et de célébrité. Louis XIV et la Reyne Mère, Anne d'Autriche, en furent les fondateurs, l'exemple de leur générosité fut suivi et les donations furent nombreuses.

          L'ordre des Carmes n'était pas riche ; on ne voit pas dans leurs aveux une longue énumération de biens, de provendes et de revenus.

          Amenés en France par Louis IX, lors de son retour de la Palestine, le Saint Roy en installa six dans une maison du Port-Saint-Paul, à Paris ; ce n'est qu'en 1299 qu'ils obtinrent du Pape l'autorisation de fonder un couvent sur l'emplacement de la maison située rue des Jardins où neuf ans auparavant, le juif Jonathas avait profané l'hostie sacrée que recueillit l'église de Saint-Jean-en-Grève[1].

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          En 1309, Philippe le Bel, et la Reyne Jeanne de Navarre, son épouse, qui avaient pris les Carmes sous leur protection, leur donnèrent un vaste immeuble situé au bas de la côte Sainte-Geneviève, qu'ils conservèrent jusqu'à la Révolution[2].

          Cette fois encore en 1656, les Carmes Déchaussés réclamèrent la protection Royale ; ils s'adressèrent au Roy Louis XIV, lui faisant représenter que « la province de Paris gémissait auprès de Dieu, de ce qu'en tous les états de la chrétienté, comme Italie, Allemagne, Pologne, Espagne, etc., etc., on eût bâti des maisons du Désert, et que la France seule, en fût privée, et ses sujets contraints d'aller en pays étranger pour jouir de ces saintes solitudes et de ces asyles de piété, où des Religieux séparés de toutes choses crées, semblent plus tôt des esprits célestes que des hommes mortels ».

          Le Roy très chrétien autorisa les Carmes Déchaussés à établir une maison du Désert pour la province de Paris ; et il leur fit don de la Vicomté de Bayeux et de ses revenus.

          Les archives de l'Eure possèdent un exemplaire imprimé de ces lettres patentes, donnant cette autorisation et faisant cette donation ; elles sont datées de mai 1656. Elles furent confirmées par de nouvelles lettres datées de 1657.

          Mais ce n'était pas assez d'avoir la rente, il fallait un lieu pour bâtir le dit Désert, en Normandie.

          Or, Louis XIV avait précédemment donné, par brevet daté de juillet 1649, à la directrice de la maison de la Providence du faubourg Saint-Marcel, à Paris[3], une portion de forêt, proche Louviers, appelée « le bosquet de la Garde-Chatel »[4].

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          Les Carmes demandèrent et obtinrent échange et subrogation de ces biens, moyennant versement par eux, à la dite Maison de la Providence, de la somme de dix-huit mille livres tournois. Ce contrat fut ratifié par de nouvelles lettres patentes du Roy.

          Mais il fallait encore la vérification de ces lettres patentes par le Parlement de Rouen et par la Chambre des Comptes, et aussi qu'elles soient enregistrées au bureau des finances de la Généralité de Caen.Or, il est intéressant de voir les nombreuses oppositions qui se présentèrent.
Elles paraissent résumées dans un mémoire demeuré aux archives de la Seine-Inférieure et intitulé :

Briefves réflexions adressées à Nosseigneurs de la Chamhre des Comptes.

          « On y considère que les opposants peuvent être classés en diverses catégories :
          « 1° Ceux qui se plaignent que le Roy, en faisant ces donations, va se priver de revenus et devra, ultérieurement, les demander à des impôts nouveaux;

          « 2° Messieurs les grands-maîtres des Eaux et Forêts pour le département de Normandie, et d'autres qui se disent lésés dans leurs droits de chasse et leurs profits dans ledit bosquet, ainsi que les moines de Bonport.

          « Et enfin les habitants des villages circonvoisins de la Garde-Chatel, et tous ceux qui se disent riverains, à cause de leurs droitures et usages qu'ils prétendent avoir dans la forêt de Bord, quoique cependant ils n'en peuvent justifier aucun.
          « En premier lieu, le revenu de la vicomté de Bayeux est évaluée à 1.710 livres 12 sols 13 deniers; ce qui est peu pour la France [5].

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         « En deuxième lieu, il y a plusieurs rangs de ces opposants, selon la différence de leurs qualités et de leurs prétentions ; au premier rang se trouve un président au Parlement et deux Présidents de chambre; au deuxième rang sont MM. les officiers des Eaux et Forêts et MM. les officiers de la Table de Marbre. Les premiers demandent dix mille livres pour leur désistement, et les deux autres chacun huit mille livres. Or, il faut avoir égard que M. le vicomte de Montbars, Grand Maître des Eaux et Forêts, a dressé un procès-verbal de la consistence dudit bosquet, par lequel il déclare : « après avoir marché le bosquet, et avoir examiné exactement l'essence du bois, que c'était un bois abroutis et abandonné aux riverains, en sorte que ni le Roy ni le Duc d'Elbeuf n'en pouvaient tirer aucun profit, qu'il ne s'y faisait aucune vente et qu'il n'était en état d'y en pouvoir faire de longues années, et que même il était coutumier aux bestiaux de s'y jeter journellement parce que les officiers étaient dans l'habitude de le souffrir.

         « M. le Président d'Amfreville est aussi supplié de considérer que la qualité de Seigneur de Montaure, en laquelle il prétend des usages audit bosquet, lui a été contredite par M. le Président du Tronq et même par le Prieur commandataire du Prieuré de Montaure.
         « Les Religieux de Bonport sont seigneurs de Blacquetuit, mais on ne doit pas en conclure que le bosquet doit être aban­donné à leurs fermiers, et que leurs fermiers ne doivent pas demander diminution de leurs baux, d'ailleurs ils montrent, par trois pièces attachées, la grande libéralité dont usa, envers eux, Richard, Roy d'Angleterre et duc de Normandie, en leurs droits en la forêt de Bord, mais il ne faut pas en conclure que ces droits devaient s'étendre sur le bosquet, parce qu'il est dans le voisinage de Blacquetuit.
         « Au quatrième et dernier rang des opposants, sont ceux qui se disent riverains du bosquet, et à cause de leurs droitures et usages qu'ils prétendent avoir dans la forêt de Bord, mais ils ne peuvent justifier qu'ils n'en ont aucun. »

         Malgré plusieurs jussions du Roy et lettres par lui adressées au duc de Longueville, Gouverneur de la Normandie, et à M. de Motteville, Conseiller d'Etat et Premier Président de la Chambre des Comptes, le Parlement de Rouen tardait à rendre son arrêt de vérification des lettres patentes.
        Un arrêt de la Cour, les chambres assemblées le dernier de mars 1659, ordonne qu'avant de procéder à leur vérification, elles seront lues, par trois fois, à l'issue des messes paroissiales circonvoisines tant du bosquet de la Garde-Chatel que de la ville de Bayeux ; ce fait, être informé de la commodité ou

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incommodité que peuvent apporter au Roy ou au public les dits dons et établissements. En outre, dresser procès-verbal de la nature et consistence du dit bosquet.
         Les lettres patentes du Roy furent vérifiées par le Parlement de Rouen, les Chambres assemblées, le 18 août 1659, mais la Chambre des Comptes faisait encore de grandes difficultés pour procéder à cette vérification[6].

Le Roy fit donner un arrêté en son conseil, par lequel il permettait de bâtir le dit Désert.
         Le 6e jour d'août 1660, le Roy et la Reyne, Anne d'Autriche, sa mère, firent mander, à Monseigneur Gilles Boutault, Evêque d'Evreux, qu'il eût à poser la première pierre du dit Couvent, non seulement comme Evêque du lieu, mais encore comme député de Sa Majesté très chrétienne, qui s'était rendu fondateur du dit Couvent, sous le titre de « Notre-Dame du Secours ».

         L'Evêque envoya signifier les ordres du Roy au R. P. de la Croix, Prieur du Couvent de Rouen, pour qu'il vint à la cérémonie avec plusieurs religieux, et lui-même il partit de son château de Condé le 19 août, et dès le soir fut à Louviers. Le lendemain 20, il se rendit au lieu dit Désert où, s'étant revêtu de ses habits Pontificaux, il prêcha au peuple qui était en grand nombre, accorda quarante jours d'indulgence, procéda à la bénédiction du dit lieu, célébra la sainte messe, planta la croix, mit les Religieux en possession et posa la première pierre du bâtiment au nom de Sa Majesté, avec excommunication de ceux qui seraient si hardis que de violer et de profaner ce saint lieu [7].
         Le long procès-verbal de cette cérémonie est inscrit sur les premières feuilles du registre intitulé : Copie des titres du Saint Désert de la Garde-Chalel, provenant de la bibliothèque du Couvent, actuellement aux archives départementales à Evreux.

         On commença aussitôt à bâtir. La première construction fut l'ermitage situé au coin qui regarde Montaure. La première pierre en fut posée le 4 octobre 1660, et la première messe y fut dite le 21 novembre suivant, jour de la Présentation de Notre-Dame[8]. Cet ermitage servit de demeure aux Religieux pendant que l'on prenait soin d'amasser les pierres, le sable, la chaux, le bois, et de faire les autres préparatifs nécessaires  pour bâtir les autres lieux.

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         Le 20 juillet 1663, jour de la fête de Saint-Elie[9], on posa la première pierre à la première cellule du Cloître, qui regarde l'Orient, tirant au Midi. Elle y fut mise par Mgr Guy du Val, Seigneur de Bonneval, président à mortier au Parlement de Rouen, accompagné de plusieurs personnes du Parlement, de la Chambre des Comptes et de grand nombre des villages circonvoisins et en présence de neuf Religieux de l'Ordre des Carmes, qui s'en furent en procession, avec un cierge blanc, à la main. On avait enchâssé dans cette pierre, une lame de cuivre sur laquelle les armes du Roy étaient gravées au côté droit et celles du Président au côté gauche, et au milieu une inscription commémorative[10].

         A la troisième cellule, on mit, sur une pierre, une longue inscription qui retrace les difficultés et les oppositions de toute nature qu'il fallut surmonter, et enfin, que l'eau, la pierre et le sable furent trouvés sur place, par un bonheur inopiné et providentiel.

         L'Institut des Déserts prit son origine en Espagne, où nous trouvons le monastère de Bolarque, dans la Vieille-Castille, en 1592. Nous trouvons ensuite des Déserts en Italie, en Pologne, etc., etc. Le Vén. P. Thomas de Jésus en fut l'initiateur et établit le règlement.

         Le R. P. Cyprien, de la Nativité de la Vierge, Carme Déchaussé, venu du Couvent de Charenton, sans doute pour contribuer, par son savoir en toutes choses, à la création du Désert de la Garde-Chatel, a écrit sur les Déserts en 1651. Son mémoire est reproduit dans Hélyot; il a écrit également une instruction, calquée comme le furent toujours les différentes instructions, sur le premier règlement de 1592; mais celle du père Cyprien semble avoir été faite pendant son séjour en notre Désert de la Garde-Chatel; elle retrace très exactement tout ce que nous avons pu constater dans ce qui fut l'installation de ce monastère ; c'est pourquoi nous avons cru intéressant de la reproduire ici.

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DESCRIPTION
DES

DÉSERTS
DES CARMES DÉCHAUSSÉS
Par le P. CYPRIEN de la Nativité

         Dans les Déserts, il y a deux portiers, placés en divers logements, pour en donner l'entrée, et pour instruire exactement les hostes et survenants des lieux où ils peuvent entrer et où il est permis de parler, pour ne point troubler le silence et le calme des anachorètes.

         A la première entrée, le portier, saluant le religieux qui vient avec une patente pour demeurer dans le Désert, lui dit seulement ces paroles :« Loué soit Notre Seigneur Jésus-Christ! Votre révérence ou votre charité soit la bienvenue!». Après, il garde le silence ; mais avant que de partir pour aller au cloître, qui est bien distant de ce lieu d'un demi-quart de lieue, et présenter sa patente au Prieur, il lui fait lire quelques avis qui sont écrits sur une tablette, dont l'un est : « On ne parle point ici de nouvelles. »

         Le deuxième : « II faut faire ce que font les autres. »

         Le troisième : « Apprenez à vous taire. » Etc., etc., etc.

         L'église est au milieu du couvent, où tous les religieux, à la façon des R. P. Chartreux, ont chacun une maisonnette composée d'une cellule, d'un petit jardin et d'un coin pour y mettre du bois, avec quelques ustensiles pour travailler de la main, et encore d'autres nécessités s'il y échet.
         Dans le grand enclos du Désert, se font, l'été, des conférences spirituelles, et l'hiver, dans un lieu du couvent destiné pour cet exercice, ce qui se réitère tous les quinze jours.

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         Outre les cellules du cloître, il y a encore dans cette enceinte certains ermitages séparés qui sont éloignés du couvent de trois ou quatre cents pas, où, en certains temps de l'année, on permet aux Religieux de se retirer, les uns après les autres, pour y vivre avec plus de solitude et plus d'abstinence ; estant d'ailleurs obligés de faire en leur particulier les mêmes actes que le gros de la communauté, et de donner ponctuellement les offices du chœur, les heures d'oraison, la Salutation Angélique et les autres actes réguliers qu'on fait dans le couvent. Pour ce qui est de la messe, les anachorètes séparés la disent et se la servent réciproquement l'un à l'autre, mais en silence, et ensuite ils se séparent sans proférer un seul mot.
         En ces lieux de plus grande retraite, ils ne voient personne et ne vivent que de fruits et de quelques herbes crues ou cuites, assaisonnées avec un apprêt léger, en sorte qu'elles n'aient pas la substance d'un potage, quoique celle-ci soit toujours fort médiocre, selon notre usage. Ils y demeurent ordinairement trois semaines, Pour ce qui est du silence, non seulement il n'est pas permis, de jour ni de nuit, de dire un mot aux séculiers ni aux religieux (si ce n'est au Supérieur), mais même, quoiqu'il y ait quelques signes introduits pour s'exempter de parler, et bien que tous les religieux portent une petite ardoise ou des tablettes qu'ils se présentent les uns les autres, pour exprimer leurs nécessités ; si est-ce qu'il n'est pas permis d'user beaucoup de ces signes pour ne point violer, par cette voie, la rigueur du sacré silence.

         Tous les quinze jours, il y a une conférence spirituelle, en un lieu désigné pour cet acte, où les Religieux, assemblés et assis selon leur rang, disent chacun leur sentiment sur une matière spirituelle qu'on a proposé par forme de thèse, comme seraient les suivantes :
         « Quelle est la voie la plus prompte pour acquérir l'humilité? » « Que faut-il faire pour être victorieux d'une forte passion? » etc. Et tous doivent apporter, par écrit, leur pensée, pour la donner et la faire enregistrer dans le livre des collations spir­tuelles, par le religieux qui en a la charge[11].
         Or, quand il y a quelque grande solennité, comme le jour de Noël, ou d'autres semblables, les Solitaires, après vêpres, peuvent parler ensemble, l'espace de une heure et demie, mais s'entretenir seulement de choses spirituelles.Le portier qui a donné l'entrée aux hôtes et aux religieux qui viennent, avec science, d'être associés à ces anachorètes, suivant ce qui a esté déjà insinué, ne leur doit dire que les paroles qui sont prescrites par les statuts, pour ne pas contrevenir au silence; et lorsque le Supérieur a examiné la patente du nouvel ermite, il assemble toute la communauté. Le nouveau solitaire, revêtu de

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sa chappe, est conduit dans le chœur, devant le crucifix, où on allume deux cierges, et récite le Veni Creator!
         Les jours de dimanche, ces anachorètes doivent se rendre au monastère des cénobites, pour y assister à tous les exercices communs, et s'en retournent après vêpres dans leurs ermitages, excepté les jours de conférences, car ces jours-là ils ne s'en vont qu'après.
         Chaque semaine, le Supérieur va les visiter pour voir de quelle manière ils se comportent dans leur solitude.
         Lorsque le temps de la demeure d'un religieux, dans le Désert, prescrit par l'obéissance, est expiré, on assemble de rechef la communauté, comme à son entrée, .les religieux font un peu d'oraisons en chœur et, après avoir récité un itinéraire composé de quelques dévotes prières, on mène le solitaire dans le même lieu où on lui avait donné des instructions en entrant. Le Supérieur commande alors à quelqu'un des assistants de lui donner quelques avis salutaires, pour profiter du séjour qu'il a fait dans le saint lieu; le solitaire écoute, agenouillé, quand bien même il serait des plus anciens de la congrégation et que celui qui lui donne des avis serait un des plus jeunes. Après qu'il a été suffisamment instruit, les Pères et les Frères l'embrassent et le conduisent en silence en son logement.

         Les constitutions défendent l'entrée de ces Déserts aux personnes séculières, pour prendre leur divertissement dans l'enclos, soit pour y chasser, soit pour y pêcher. Ils ne peuvent y loger ou être admis, à moins qu'ils n'aient bâti à leurs dépens quelque cellule ou ermitage.
         Le plan de ce Désert, publié par Bourgoing de Villefore, dans la Vie des Saints Solitaires d'Occident, tome II, folio 428, et dont la reproduction est ci-dessous, nous permet de nous faire une idée assez correcte des constructions, et de reconnaître que ce couvent avait été édifié suivant les règlements sur les Déserts. Il y a deux portiers, espacés d'environ cent pas. La première porte ouverte dans le mur de clôture, nous fait traverser la basse-cour ; la deuxième entrée nous permet de pénétrer dans une chapelle, qui est publique, puis donne accès à une magnifique avenue conduisant directement au monastère proprement dit, lequel est situé à peu près au milieu du Couvent. La petite église à trois nefs se présente d'abord ; après le chœur des Religieux et derrière l'autel, nous trouvons le cloître; le côté occidental renferme le réfectoire et les autres offices réguliers; les cellules des Pères occupent les autres côtés. Derrière le monastère, sont des jardins, des prairies; ici un four à chaux, là une carrière à pierres, puis des étangs, un cours d'eau et plus loin les ermitages séparés au nombre de six, ayant pour titulaires : Saint-Louis, Sainte-Anne, Saint-Elie, Sainte-Thérèse, Notre-Dame et Saint-Joseph.

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         Nous retrouvons dans les archives du Désert, et notamment sur deux registres intitulés : l'un. Livre des Fondations du Saint-Désert de la Garde-Chatel, l'autre, Coppies (sic) des Titres au Saint-Désert de la Garde-Chatel, l'historique, pour ainsi dire, de l'installation et de la constitution du Couvent. Nous y trouvons aussi le témoignage de toutes les oppositions qu’il fallut surmonter et de toutes les procédures qui furent commencées, puis terminées par une transaction en argent.
         Si les opposants étaient nombreux, puisque nous avons vu précédemment un acte du Parlement de Rouen qui les classe en diverses catégories, suivant leur importance et leur rang, n'est-ce pas parce qu'on appréhendait l'arrivée dans la région d'un nouvel établissement religieux, d'ordre mendiant ?

         En tous cas, n'est-il pas étonnant de constater, à cette époque du Roy Soleil, ces nombreux opposants, et de voir que les plus notables d'entre eux, sont ceux qui comme on dirait aujourd'hui, émargent le plus au budget de l'Etat, et sont des membres du Parlement, des officiers des Eaux et Forêts, des membres du Clergé, appuyés par leur Evêque et des officiers ministériels; c'est-à-dire que fonctionnaires et agissants, au nom du pouvoir royal, ils protestent contre le Roy qui donne une portion de son bien.
         Au commencement du registre de Copie des Titres, est la description de la cérémonie de la pose de la première pierre et de la prise de possession.
         La sentence du R. P. Général qui ordonne que le Couvent de Paris fournira sa part de six mille livres, comme ont fourni les Couvents de Rouen et de Charenton, pour le paiement du bosquet de la Garde-Châtel.
         La permission et licence de Mgr Gilles Boutault, évêque d'Evreux, de fonder un Désert en son diocèse.
         Les lettres de jussion et de cachet du Roy et de la Reyne mère, demandant la vérification des lettres patentes, par le Parlement et la Cour des Comptes de Rouen.

         Lettre de cachet du Roy au duc de Longueville, lui demandant de protéger l'établissement du Désert.
         Une sentence du lieutenant de la maîtrise des Eaux et Forêts pour empêcher les Carmes Déchaussés de s'installer au Désert; une demande de dix mille livres est faite pour obtenir le désistement de cette opposition.

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         Les officiers de la Table de Marbre élèvent la même prétention et demandent huit mille livres.
         Le 1er avril 1666, une transaction est signée au racquit de cent livres de rente, faisant principal de deux mille livres, en deux sacs de louis d'argent, pour obtenir le désistement des officiers de la maîtrise des Eaux et forêts de Pont-de-1'Arche.
         Une assignation est donnée aux habitants de Montaure, la Haye-Malherbe, Crasville, Surtauville, etc., à ce qu'ils baillent leur cause d'opposition à la Cour des Comptes, contre la vérification des lettres patentes du don de la Garde-Chatel.
         Au folio suivant, est un arrest de la Cour des Comptes de Rouen, portant deffault (sic) contre les habitants de Montaure, etc., et ordonne de les réassigner.

         Le 4 juillet 1668, une quittance de deux cent cinquante livres, payées aux habitants de Montaure, par le Saint-Désert, pour le dédommagement des droits d'usage, pacage, fagots, etc., par eux prétendus sur les bois de la Garde-Chatel, et l'emploi qui en est fait pour la réparation du clocher de l'église.
         Au folio suivant : Quittance de Louis Chatel, sergent hérédial de la Garde-Chatel, propriétaire de la Sergenterie royale de la forêt de Bord, de la somme de cent trente livres, pour le désistement du droit qu'il pourrait prétendre dans la dite forêt, à cause de la donation faite par sa Majesté.
         Sous la date des 18 janvier 1663 et 25 novembre 1668, transaction avec les sieurs Curé et Prieur[12]  de Montaure, pour leurs prétentions touchant les dixmes et les novales des terres enfermées dans la clôture du Désert, moyennant versement à chacun d'eux de deux cent cinquante livres, plus une pièce de terre, désignée, pour chacun.

         Au folio suivant, est transcrite la ratification et l'approbation de la susdite transaction par l'Evêque d'Evreux.
         Ces divers paiements en argent, et d'autres encore faits aux habitants des communes circonvoisines, sont indiqués comme effectués à l'aide d'une donation de six mille livres faite par demoiselle Marie Touchard, fille de feu Pierre Touchard, honorable homme, marchand grossier à Rouen.
         L'emploi de la somme a été ratifiée par demoiselle Marie Touchard, par acte notarié et signé par le P. Cyprien de la Nativité.

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         Sur le registre des Fondations, après les instructions concernant les prières pour le Roy et sa Maison royale, se trouve inscrit :

MÉMOIRE DES PARTICULIERS BIENFAITEURS DU SAINT DÉSERT

Cellule A. — Messyre de Maupas du Tour, évêque d'Evreux. a contribué au bâtiment de la cellule A.
Cellule B. — M. de Morangis a contribué au bâtiment de la cellule B.
Cellule C. — M. Le Tanneur, conseiller du Roy au Parlement de Metz, a contribué au bâtiment de la cellule C.
Cellule D. — M. de Touvaint, conseiller du Roy au Parlement et M. Robert, maistre des comptes, ont contribué au bâtiment de la cellule D.
Cellule E. — M. de Grainville, conseiller du Roy au Parlement de Rouen, et M. du Vauld, grand vicaire chanoine d'Evreux, ont contribué au bâtiment de la cellule E.
Cellule F. — M. de Melleville, doyen de la cathédrale d'Evreux, a contribué au bâtiment de la cellule F.
Cellule G. — Mme des Mares, mère du R. P. Grégoire, a contribué au bâtiment de la cellule G et à la subsistance d'un Ermite, ayant donné trois mille livres.
Cellule H. — M. de la Marguerie, conseiller ordinaire, M. l'abbé Bailly, M. de la Rivière, ont contribué au bâtiment de la cellule H.
Cellule I. — M. Traversé, Mme Falconis et Melle Bridal ont contribué au bâtiment de la cellule I.
Cellule L. — M. Voisin, conseiller ordinaire, a contribué au bâtiment de la cellule
Cellule M. — M. et Mme Tiville, et M. le président Mauguin ont contribué au bâtiment de la cellule M.

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Cellule N. — Mme Marie de Campans et M. Boucher, son époux, greffier en chef de la Cour des Aydes de Paris, Mme Marie Bannelier et Melle Bannelier, sa fille, qui sont les parents du R. P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, ont contribué au bâtiment de la cellule N.
Cellule 0. — Mme la marquise de Seneray a contribué au bâtiment de la cellule 0.
Cellule P. — M. de Bretonvilliers, ancien curé de Saint-Sulpice, et M. de Baizemont, gouverneur de la Bastille, ont contribué au bâtiment de la cellule P.
         M. du Terat, trésorier de Monseigneur le duc d'Orléans, a fait bâtir le premier logement de religieux dans le Désert.

         Jean des Londes Cabazas, Escuyer, sieur de Bavant, à Trévières, s'étant retiré parmi les Religieux du Désert, y a vécu très saintement, et les ayant édifiés par ses bons exemples; il a en outre fait bâtir la chapelle de la Porterie où il a fondé une messe basse à perpétuité, pour tous les jours de dimanche de l'année (il n'y a pas de date).
         La première fondation fut faite par M. Anne Le Blanc du Raulet, chevalier, seigneur de la Croizette, lieutenant pour Sa Majesté, en Normandie, et gouverneur des villes et château de Caen et de Louviers, et aussi par Mme de la Croizette, de:
         1° Neuf acres de terres, à prendre en plus grande place dans la vallée du Camp, borné D. b. l'ancien chemin d'Elbeuf qui est ruiné par le cours de la ravine, d. b. M. Martin-Duval, d. b. les bois du comté de Louviers ;
         2° Sept acres de terres, en deux pièces, proche Louviers; afin qu'une messe soit célébrée chaque jour à leur intention. De plus, M. de la Croizette pourra entrer dans la maison du Désert pour y faire ses dévotions et, après lui, ses enfants auront ce droit une fois par an.
         M. Barrin de la Gallissonnière fait don de 1.800 livres pour contribuer à la construction d'un pavillon où il aura sa chambre. Plus tard, il fait une nouvelle donation pour l'ameublement de ladite chambre. Ce pavillon conserva jusqu'à la fin le nom de son fondateur.

14

         Mme la duchesse de Guise a fait bâtir l'Ermitage Sainte-Anne ou de la Sainte-Famille, et fournit les ornements de la chapelle.
         La reyne mère, Anne d'Autriche, a donné 3.000 livres pour bâtir un côté du cloître.

         Le 21 mars 1671, donation, par M"' Marie Bridau, de huit cents livres, pour fondation de deux cellules, à condition que son nom et celui de son frère y seront indiqués, sur un écriteau visible, et que quatre messes seront célébrées à perpétuité.

         Le 13 décembre 1672, donation de quatre cents livres, par M. Ragon de Bretonvillers, curé de Saint-Sulpice, pour fondation d'une cellule qui sera nommée de la Sainte-Vierge, et quatre messes basses.

         Le 17 juin 1673, donation de quatre cents livres par M. de Melleville, haut Doyen d'Evreux, pour fondation d'une cellule qui sera nommée de l'Assomption de Notre-Dame, et quatre messes hautes à perpétuité.

         Le 5 juin 1672, quittance de mille livres à dame Marguerite Paviot, veuve de Robert Lhermette, lieutenant général en l'Amirauté de France, au siège de la table de marbre du Palais de Rouen, à cause d'une messe basse le mardi de chaque semaine[13].

         Le 23 novembre 1696, donation de M. Levée, bourgeois de Paris, de trois mille livres tournois, pour être employés par les Religieux à telle utilité de besoins qu'ils aviseront, à condition d'une messe basse, tous les jours, à perpétuité.

         Le 8 janvier 1706, fondation, par demoiselle Pulchérie de Brouilly, de Wartigny, d'une rente de quinze cents livres, pour subvenir à l'entretien de vingt Religieux qui doivent être dans cette maison, suivant la constitution de leurs Déserts, alors qu'elle n'avait de revenus que pour en entretenir onze, et qu'une personne de piété venait d'en fonder trois.

15

         Au folio suivant, la quittance de la somme de trente mille livres, formant le capital, spécifie qu'il a bien été convenu qu'au dessus des six cellules sera écrit: « Souvenez-vous de prier Dieu qu'il fasse miséricorde à « Melle de Wartigny, qui a fondé cette place, et à sa mère. »

         Et en cas que, par des événements imprévus, il arrive (ce qu'à Dieu ne plaise !) que la maison du Désert cessât de subsister dans l'état et dans la règle où elle est, la demoiselle de Wartigny entend que la fondation, la création et dépendances d'icelle seront transférées et ensuite exécutées dans un autre Désert du dit Ordre, où le R. P. Général jugera que Dieu y sera plus glorifié; ce dont la dite demoiselle charge le R. P. Général et se rapporte, en ce cas, à sa conscience, etc., etc.

         Sur ce même registre sont inscrits des actes du Deffinitoire Provincial, concernant le Désert. Généralement, ces actes sont en latin.
         Le dernier acte transcrit sur ces registres est du 18 jan­vier 1706. Je n'ai pu retrouver les registres suivants; peut-être ont-ils été dispersés ou détruits lors de la Révolution.

         Mais dans les titres détachés ou en dossier, on relève d'autres donations ou échanges de terres ou des acquisitions, entr'autres une portion de terrain, bien facile à reconnaître, qui était destinée à donner accès sur la grande route de la Haye-Malherbe à Louviers, par la côte de Saint-Lubin [14] ; à cet endroit existe encore la grande porte cochère flanquée de son petit potuis qui a conservé son nom de « Porte aux Pères », avec son antique caractère architectural des couvents.

         Aussi, dans un aveu de 1725, les biens étaient bien plus étendus que l'enclos entouré de murs. Les terres situées à gauche de l'entrée, nos 1 et 2 du plan, en dehors, jusqu'au cours d'eau qui passe dans la vallée, appartenaient également au Désert. Ce cours d'eau, désigné à cette époque, est maintenant desséché. Cet aveu, composé de trois feuilles de parchemin cousues, formant six folios, porte onze signatures.

16

         Sous un dossier est : « Notice sur le Noviciat et la Profession solennelle du Frère Laurent de Saint-Vincent ».
         L'an de grâce 1753, le IIe jour de février, jour de dimanche VIe, après l'Epiphanie, sur les trois heures un quart de relevée, le Frère Laurent de Saint-Vincent, appelé dans le monde Vincent-Michel Noville, fils né en légitime mariage de Michel Noville, de la paroisse de Saint-Martin-la-Campagne, diocèse de Rouen, et de Catherine Vigneron, de la paroisse d'Etian, même diocèse, a fait profession solennelle de Frère Convers, dans notre église du Désert, en présence de la communauté et des témoins sous­signés. Il est né le II novembre 1726 et baptisé à Hautot-sur- Dieppe le même jour. Ainsi, il a fait profession, à l'âge de 26 ans, de la manière suivante :
         Moi, Frère Laurent de Saint-Vincent, je fais ma profession et promets obéissance, chasteté et pauvreté à Dieu, à la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel, et à Notre R. P. Marie de Saint-Joseph, Général des Carmes Déchaussés de la congrégation de Saint-Elie et de ses successeurs, selon la règle primitive dudit Ordre, jusqu'à la mort.
         De plus, je promets de ne point prétendre à aucun changement d'habit, ou de monter à quelque degré plus élevé que celui auquel Dieu m'a appelé. Suivent huit signatures :
         P. Laurent de la Nativité, Prieur de Dieppe.
         P. Dominique de l'Annonciation, Prieur du Désert.
         Frère Sylvestre de Saint-Jacques, Sous-Prieur.
         Parmi les titres des archives de ce Couvent, se trouve :
         Permission de S. A. le duc de Longueville et d'Estoutevillc, Pair de France, Gouverneur et Lieutenant Général pour le Roy, en la Province de Normandie, aux Religieux Carmes, de faire porter à un de leurs domestiques les casaques de nos livrées, pour garder leurs biens et notemment la Garde-Chatel ; à charge que celui qui portera la dite casaque n'en fera aucun abus.
         Fait à Rouen, le 16 août 1669.
         Signé : henry d'orléans.
         Et plus bas, le cachet de ses armes.

         En 1686, l'abbé Jean-Baptiste de la Salle, le fondateur des Frères de la doctrine chrétienne, vint faire une retraite au Désert du Carmel.

         Les Carmes du Désert de la Garde-Chatel sortaient quelquefois de leur solitude pour rendre service au dehors. Ainsi, en 1691, Frère Guillaume Colin, dit Sainte-Madeleine, prêtre ermite, se chargea pendant quelque temps du desservice, de la paroisse d'Ecquetot.

17

         Vers la fin du siècle dernier, le Désert fut restauré par Madame Louise de France, fille de Louis XV, qui elle-même était Religieuse Carmélite. Elle avait des désirs ardents de demeurer quelque temps au Désert de Louviers[15].

         Nous voici arrivés à la période révolutionnaire. C'est maintenant par les registres de la Révolution que nous apprendrons ce qui s'est passé dans ce Couvent, pendant ses dernières années jusqu'à sa fin.
         Les 25 et 26 janvier 1791, les commissaires du district de Louviers se sont présentés au Désert de la Garde-Chatel pour en prendre possession.
         Le procès-verbal en fut dressé ainsi que l'inventaire général.
          ll y avait alors dix-huit cellules logeables ; neuf étaient occupées par cinq Prêtres, un Corisse, un Convers et deux Frères donnés.
         On délivra à chacun d'eux le mobilier de sa cellule. Voici, comme exemple, un extrait de cet inventaire :
         « .. De là, nous sommes passés dans la cellule du R. P. Amable de Saint-Jean-Baptiste ; nous lui avons délivré un lit garni de son bois, paillasse, un matelas, un traversin, un oreiller, une couverture, cinq chaises à fond de paille, un fauteuil, un réveil-matin et sa boîte, une table en bois de chêne, une table de nuit, un feu garni, une petite bibliothèque en bois de sap et quelques livres pieux, deux encoignures d'armoire en bois de chêne, trente serviettes, trois paires de draps, six nappes, six essuie-mains, et en outre les habits, linges et hardes à son usage.»
         Ensuite entrés dans la cellule du R. P. Jean-Chrisostôme de Saint-Dominique, lui avons délivré un lit garni de son bois, une paillasse, un matelas, un traversin, une couverture, six chaises à fond de paille, une bibliothèque en bois de sap et quelques livres pieux; une commode en bois de chesne, une petite table, deux petits bas d'armoire, quelques cadres, un petit miroir, un réveil-matin et sa boîte, un feu garni, trente serviettes, trois paires de draps, six nappes, six essuie-mains, et en outre les linges et hardes à son usage.
         Ensuite, entrés dans la cellule du Frère Bernard de Saint-Bonaventure, lui avons délivré un bois de lit, une paillasse, un matelas, une taie d'oreiller, une couverture, une table, une bibliothèque et quelques livres pieux, une commode, une armoire, une table de nuit, un réveil-matin et sa boîte, un feu garni, quelques cadres, trente serviettes, trois paires de draps, six nappes, six essuie-mains, et en outre les hardes et linge à son usage.
         Dans la cellule de Hubert Pelgas, Frère Oblat, lui avons délivré un lit garni de son bois, une paillasse, un matelas, un traversin, une couverture, une petite bibliothèque et quelques livres de piété, une commode, une petite table en bois "de chesne, quelques cadres, un vieux réveil, six chaises à fond de paille, un feu garni, vingt-quatre serviettes, une paire de draps, une autre vieille petite table, et les linges et hardes à son usage.

18

Sur la carte IGN au 1/25000, en rouge, le mur du Désert, - D81 est la route de Louviers à la Haye-Malherbe-.
Le quadrilatère ( sous le mot Châtel), actuel potager, est l'emplacement du bâtiment conventuel.

         En outre, on donna à chaque Religieux, Frère et gardien un demi-muids de cidre, plus une pipe vide et quelques bouteilles de verre vides.

         Evidemment, nous voyons, d'après ces extraits de l'inventaire, que les cellules étaient mieux fournies que les constitutions ne le comportent; mais l'inventaire religieux démontre un monastère pauvre, car on n'y trouve quoique ce soit de curieux ou de superflu. En voici un exemple : Assistés de MM. les Prieur et Religieux, nous sommes entrés dans l'Eglise et avons trouvé dans le Tabernacle un saint Ciboire en argent et une « bouette » (sic) pour les saintes huiles, un soleil en argent, desquels vases sacrés nous nous sommes emparés pour être déposés au secrétariat du district. Sur l'autel, nous avons trouvé six chandeliers en cuivre, quatre petites statues en bois doré, ainsi qu'une croix, un devant d'autel en bois de chesne doré et sculté; à la contre-table, un grand tableau représentant l'Annonciation ; sur les portes, deux petits tableaux représentant l'adoration des mages et l'autre trois personnages pieux, avec leurs cadres dorés ; deux crédences en bois de chesne; neuf caisses ou crachoirs; une lampe en cuivre; un lambris en bois de chesne avec des sièges autour de la dite Eglise; lesquels meubles nous avons laissé en place, à l'exception de la lampe et des flambeaux, transportés dans l'appartement dit la « roberie ».
         De là, passés dant l'avant-coeur (sic), nous avons trouvé une armoire à deux battants, en bois de sap, dans laquelle étaient huit vieux chasubles avec leurs étoles, manipules et bourses de différentes couleurs, en camelot, et tapisserie et serge ; les quelles (sic) nous avons fait transporter dans la roberie. Une fontaine en cuivre rouge et son couvercle, deux sceaux en bois de chesne, deux porte essuie-mains en bois, une grande croix aussi en bois, que nous avons laissé dans le dit avant-cœur.
         De là, passés dans la Sacristie, nous avons trouvé quatre calices, un soleil, sans pied, en argent et leur patène, desquels nous nous sommes saisis pour être déposés au secrétariat du district, et en avons laissé un, avec sa patène, aux R. P. Religieux pour la célébration du culte divin, dans la Chapelle d'entrée du dit monastère, jusqu'au moment de leur départ, ainsi qu'une chasuble, aube, étole, manipule et voile; lesquels ornements se sont obligés de représenter et rapporter au directoire du district, après le départ des Religieux.

         L'inventaire se continue ainsi, puis les portes sont fermées et le scellé y est apposé. Il en est de même de la chambre de de la Gallissonnière, dont le mobilier était abondant et en bel état; du chartrier et de la bibliothèque; de ces deux derniers l'inventaire ne semble avoir été fait que d'une façon très som­maire.

19

         Ensuite, passés dans deux Ermitages, nous avons trouvé deux autels en bois et deux petites clochettes d'environ neuf pouces de diamètre.

         De là, passés dans la chapelle à côté de la principale porte d'entrée, nous y avons trouvé un autel, une image de la Vierge, quatre chandeliers, deux tableaux pieux.

         L'énumération de toutes les autres pièces et de tous les objets se trouvant dans le couvent se continue et le dit inventaire se termine ainsi :
         « Et vu qu'il ne reste plus aucuns meubles à inventorier, nous avons mis sous scellés ceux qui ont pu y être mis et laissé à la charge et garde de MM. les Officiers municipaux et commis gardiens deux cy-devant domestiques de la maison.
         « Après quoi, rentrés dans la salle des hôtes, M. le Prieur nous a remis quatre registres de recettes et dépenses. Après examen fait de la recette, depuis le 5 mai 1790 jusqu'au 31 décembre de la même année,

      la Recette s'est montée à. ................. 3.589 livres 7 sols 6 deniers et

      la Dépense à. ................................... 3.328 livres 15 sols 3 deniers

      la Recette excède la Dépense de ............. 60 livres 12 sols 3 deniers

laquelle somme ledit sieur Prieur nous a présentement comptée, en espèces sonnantes et monnayées ayant cours ; de laquelle notre secrétaire s'est saisi pour la déposer dans la caisse du district, dont reçu sera remis par le Receveur. S'est également saisi, le Secrétaire, desdits registres pour les déposer en notre secrétariat avec l'état des débiteurs de ladite maison, pour vente de bois, et un état des créanciers. » Tous ont signé.

         Je n'ai pas retrouvé ces registres aux archives, mais seulement, dans le fonds dit de la Révolution, sous un dossier, II, 1076, la pièce que je transcris ci-dessous; elle se compose de trois feuilles doubles qui paraissent avoir été détachées d'un registre. Sur la première, est écrit, en latin, le résumé mensuel des recettes et des dépenses de juillet 1788 jusqu'au 23 juin 1789.

20

         A la fin il y a : 

..
livres
sols
Expensum…………………………..
13.146
12
Receptum……………..…………….
  13.118
  6
Excessus expensi.  ..............
  28
6

         Et au-dessous le cachet en cire rouge du Couvent des Carmes Déchaussés.

         Au bas de la 7° page on lit :
Nous soussignés Maire et Officiers municipaux de la paroisse de Notre-Dame de Montore, avons examiné le compte ci-dessus et des autres parts (sic) de la recette et de la dépense faite depuis le mois de mai 1789, jusqu'à ce jour mercredi 5 mai 1790 et avons trouvé que 

..
livres
sols
deniers
La Recette se monte à la somme de. .
7.726
19
..
Et la Dépense à             . .
7.319
19
13
Partant, la Recette excède la Dépense de
406
19
9
21

         Plus il appert qu'il est dû à la communauté, par divers particuliers, pour la coupe des bois de l'année dernière 1789, la somme de 1.949 livres 1sol.

         De plus, nous avons examiné la vente des bois de l'usance de l'année de 1790 et, d'après examen fait, avons trouvé que ladite coupe de bois, tant ce qui est vendu et livré à ce jour que ce qui reste encore dans la dite vente, nous avons évalué le tout à 1.800 livres.

         ETAT du Revenu de ladite Maison, suivant les beaux (sic), à nous présentés :

  revenus :
livres
sols
1° A Bayeux, affermés à M. Duhamel . . …………………
3.000
..
2° Ferme appelée la Côte, sur la paroisse de Louviers. ..
  350
..
3° Sur l'Hôtel-Dieu, de Paris. ......................................
  572
..
4° A Ch. Lamarche, à Incarville, par bail amphitéotique.
20
..
Affermé à divers ......................................................
147
19
Pour l'enclos, environ. ……………………………
2.500
..
total. .....................
6.589
19

22

         De la réquisition de nous, maire et officiers municipaux de la dite paroisse de Montore, et du consentement du Prieur et du Sous-Prieur de la dite Maison, a comparu avec nous M. le Curé du dit Montore, pour faire lecture devant nous, des comptes écrits en latin, qui se trouverait dans la dite commu­nauté, sans qu'il puisse avoir pour ce, aucune voix active ou passive dans notre présente visite et répertoire; ce que nous avons tous signé avec les articles précédentes (sic). A la Maison du Désert de la Garde-Chatel, le 5 mai 1790.

         Deux Religieux seulement ont signé :
Frère Bonnald de Saint-Jean-Baptiste, Prieur du Désert de la Garde-Chatel.
Frère Antonin de Saint-Dominique, Sou-Prieur.

         Leurs signatures s'étendent allongées et accentuées sur toute la largeur de la page; celle du Sous-Prieur est suivie d'un énorme paraphe formé de quatre longues lignes en diagonales. Ce n'est plus l'écriture tremblée et rapetissée de la première apparition des membres du district ; on voit et on sent que cette fois c'est la dernière signature donnée, parce que c'est le dernier jour de l'existence du Couvent, et que le sort en est jeté ! !

         Désormais la cloche restera muette dans le clocher; plus de processions dans les allées ombreuses, plus de chants religieux où le sifflement du merle et le trille du rossignol se mêlaient à la voix des moines. Plus de registres rédigés en latin, cette langue des oraisons chrétiennes. C'est maintenant le grimoire des greffiers de la Révolution qui mentionneront les faits accomplis à la Garde-Chatel.

         Nous avons vu que lors de la prise de possession par les membres du district accompagnés du procureur de la commune de Montaure, le 21 janvier 1791, le Couvent du Désert était occupé par neuf moines.

23

         Le P. Amable de Saint-Jean-Baptiste, Prêtre, âgé de 89 ans et 6 mois, aveugle et très infirme, a déclaré vouloir continuer à vivre dans son ordre et profession de Religieux, et mourir dans cette même maison.

         Le Frère Chérubin de Saint-Henry, Religieux, sacristin, choriste dans les ordres mineurs, âgé de 51 ans et six mois, a déclaré être dans l'intention de vivre dans l'ordre Religieux qu'il a embrassé, et, s'il est possible, de mourir dans la dite Maison. (Henry Lombard, de Brest).

         Les sept autres ont déclaré être dans l'intention de se retirer et de vivre chacun en son particulier.

         Je ne sais combien de temps ils sont restés dans le Désert; j'ai seulement trouvé, aux archives départementales, une note qui semble avoir été faite pour être remise au district de Louviers ; elle est datée du 3 mars 1791. Est-ce une date de départ?

         En voici la copie :
8 sacs de bled. ........................................ 225 livres
A Nicolas Maubuisson, md boucher. …........ 346 d°       12 sols
A Mrs Buhot frères ................................... 267 d°         4 d°
A Lemonnier, md de tabac. .......................   57 d°       17 d°

         Cette note provient-elle de dépenses faites depuis la prise de possession par les membres du district ? Dans ce cas, nous sommes loin de l'austérité des premiers temps ! La note aux frères Buhot, qui étaient cultivateurs voisins, consiste en volailles, lait, œufs, beurre; en un mot, les produits de leur basse-cour. L'un d'eux, Alexandre Buhot, était procureur de la commune de Montaure, et à ce titre il procéda à la prise de possession des biens du Couvent. Plus tard, il se fit adjuger plusieurs propriétés dépendant du Couvent, sans doute à titre de services rendus. Mais nous sommes en révolution !

24


Au coeur du parc, le vaste potager est en partie ceinturé par un mur, vestige du bâtiment monacal.


Deux angles du quadrilatère formé par les restes des murs du couvent sont occupés par deux petits pavillons, eux aussi témoins du monastère du XVIIe siècle.

         La vente du mobilier et des objets saisis commença les 7 et 8 juillet 1791. Elle produisit. 2.010 livres 17 sols

         La deuxième vente eut lieu le 9 octobre suivant et produisit .    835 livres 12 sols

         Mais le 26 mars 1791, le district de Louviers arrête que,  conformément aux décrets de l'Assemblée nationale de septembre et octobre 1790, sanctionnés par le roi Louis XVI, le 14 du dit octobre, chaque département devant choisir deux des anciens couvents pour être affectés aux Religieux qui préfèrent continuer la vie commune, la Maison conventuelle de la cy-devant Abbaye de la Neuve-Lyre, district de Verneuil, sera affecté aux Religieux des ordres rentés, et la Maison de la Garde-Chatel aux Religieux non rentés. Les dits Religieux devront s'y retirer avant le Ier avril.

         Le même décret de l'Assemblée nationale porte que chaque Maison devra contenir au moins vingt Religieux.

         La même loi autorise les Religieux à emporter le mobilier à leur usage, ainsi que leurs effets personnels.

         Le 11 mai suivant, les commissaires du district de Louviers dressèrent procès-verbal de l'installation à l'ex-Couvent de la Garde-Chatel, de deux cy-devant Religieux Capucins de la Maison des Andelys, et leur délivrèrent les meubles, ustensiles et batterie de cuisine nécessaires à leur usage, ainsi que les vases sacrés et ornements pour le culte divin.

         Deux anciens Carmes qui avaient déclaré vouloir continuer à vivre dans leur monastère, y étaient restés. Voilà donc l'ancien Désert des Carmes Déchaussés avec une destination nouvelle, et avec de nouveaux hôtes. Mais, sans pouvoir en préciser la durée, elle ne paraît pas avoir été bien longue.

         Nous trouvons sur le registre des arrêtés du Directoire du district de Louviers du 13 août 1792, l'an IVe de la Liberté :

25

         Sur le rapport fait par un des Messieurs, d'une requête présentée par la municipalité et le sieur Curé de la Haye-Malherbe, exposé que leur église est dans le plus mauvais état, et si pauvre que le peu de revenus qu'elle a ne peut subvenir à l'orner, il ne suffit même pas pour la dépense annuelle, malgré l'économie qu'on puisse y apporter ; et que l'hautel (sic) du chœur est en très mauvais état, pourquoi ils demandent l'hautel et les lambris du chœur du Couvent de la Garde-Chatel, où il existe cinq chapelles inutiles, n'y ayant que trois Religieux Prêtres, qui ne peuvent y rester, n'étant pas au nombre fixé par la loi.

         « Vu la dite requête, et l'avis du district de Louviers, qui estime qu'il y a lieu d'accorder à la municipalité de la Haye-Malherbe, un autel du chœur de l'Eglise du Couvent de la Garde-Chatel, pour orner celle de la paroisse de la Haye-Malherbe, qui en a grand besoin,

         « II est arrêté, ouï le Procureur général syndic, qu'il sera par le directoire du district de Louviers, délivré à la municipalité de la Haye-Malherbe, etc., etc. ».

         Cet acte signale qu'il ne reste plus que trois résidents à la Garde-Chatel ; sans doute le quatrième, le manquant, était le R. P. Amable de Saint-Jean-Baptiste[16], lequel, âgé de 90 ans environ, avait déclaré vouloir mourir dans ce couvent qu'il avait choisi.

         Ses vœux étaient accomplis !

         Que se passa-t-il ensuite, à l'intérieur de ce couvent; c'est ce que je n'ai pu élucider. Le seul document que j'ai pu recueillir est une feuille d'émargement des «pensionnaires ex-Religieux (sic) qui consentirent à prêter le serment dans le délai prescrit, et ce par devant les notaires de Louviers. »

         Cette feuille datée de 1793, porte neuf signatures; sept anciens Carmes du Désert et les deux Capucins qui y étaient venus. Mais il n'y a pas d'autre indication si ce n'est qu'ils ont émargé à Louviers et qu'ils résidaient dans le district de Louviers.

26

         En voici la copie :

Mulot, Guillaume, né le 9 janvier 1744, Frère convers, reçu au Couvent de Rouen le 16 septembre 1777

300 fr. de pension

Pelgas, Hubert, né le 3 octobre 1749 à la Haye-Malherbe, a prêté serment dans le délai prescrit et justifié d'un acte de réception de Frère oblat, passé le 15 septembre 1783

300 fr. de pension
à Bonnald de Launay, ex-Religieux 700   
à Tricot,                     800    
à Fauvel,                    700   
à Lombard,                   800   
à Grimoin, cy-devant Frère donné 300   
à Binet, cy-devant Capucin des Andelys . 800   
à Feret, cy-devant Capucin des Andelys . 800   

         Le dernier acte qui mentionne l'habitation du Couvent est un arrêté du directoire du district de Louviers du 26 juin 1793, l'an IIe de la République :

         « Vivement affectés des dilapidations et des dévastations qui se commettent journellement et nocturnement dans les bois de la Garde-Chatel et dans la maison conventuelle,

27

         Considérant que le refus qu'a fait la municipalité de Montaure, au citoyen Mouchard, garde, d'un certificat de civisme, n'est fondé que sur l'esprit de parti, ainsi qu'il appert de pièces produites par le dit Mouchard, en réponse au refus ci-dessus; arrête, le citoyen Mouchard est et demeure nommé garde ; il est autorisé de s'armer, et est obligé de loger dans la dite maison conventuelle. » .......

         Mais rien n'indique si les trois Religieux en étaient partis. Sur le registre des procès-verbaux des ventes des biens nationaux du 29 janvier 1793, nous trouvons:

         « La direction de l'assemblée administrative, en conséquence des affiches, indications, etc., etc.

         A, ce jourd'hui, de la 2e séance d'enchères et adjudications des biens et domaines nationaux, etc., première estimation, l'horloge située dans le clocher de la cy-devant communauté des Carmes Déchaussés de la Garde-Chatel, etc., adjugé à la municipalité de Montaure; prix : 225 francs. ». Cette horloge est encore dans le clocher de l'église de Montaure.

         La vente de l'ancienne Abbaye de Lyre, qui avait été affectée en 1790, comme maison de retraite pour les ordres rentes, eut lieu le 12 ventôse an VI.

         La vente de l'enclos de la Garde-Chatel eut lieu seulement le 28 février 1815. Sa contenance est de 140 hectares 35 centiares, et la vente a été faite au rabais. Le procès-verbal d'estimation évalue le terrain et le bois planté, aménagé à différents âges, à ...  135.000 francs.
         Les bâtiments de l'ancien Couvent, dont une partie tombe en ruines, à  3.947 francs  Total. 138.947 francs

28


Dans le parc, cette chapelle édifiée à la fin du XIXe siècle, est dédiée à St Jean Baptiste de la Salle, fondateur des Frères des Ecoles Chrétiennes, et qui fit retraite au Désert.

Le pignon de ce bâtiment à l'entrée du parc, date lui aussi de l'édification du monastère.

         Cette mise à prix doublée a été successivement diminuée jusqu'à la somme de 171,000 fr. et l'adjudication a été prononcée en faveur de M. Mel Hutrel, négociant à Rouen, rue Encrière.,

         Les murailles du parc furent restaurées, mais les bâtiments de l'ancien couvent disparurent. Il y a quelques années, on voyait encore une petite maison carrée à trois fenêtres de façade, ancien logement d'un des portiers, devenue le logis du propriétaire, et à côté la chapelle qui était publique. Cette chapelle devait être très fréquentée; en 1894, il y avait encore, au hameau de la Vallée, chez François Goujon, un criptique, probablement fabriqué par un moine du Désert, mais en tous cas laissé par lui, afin que le chef de cette famille puisse lire la messe et le catéchisme aux enfants de la contrée, devant l'image de Dieu, pendant que la chapelle serait fermée et que les moines seraient absents.

         Aujourd'hui, de l'asile de prières, il ne reste plus que le mur extérieur du cloître, qui sert d'enceinte au potager. La vigne y trouve son appui et, à l'automne, ses pampres se couvrent d'un raisin délicieux; c'est une des parures de la table des propriétaires. Un château dans le style Louis XIII a remplacé les vieux bâtiments monacaux; la nature a remplacé la discipline et la règle monastique. La châtelaine, bonne aux pauvres, continue à répandre autour de la Garde-Chatel ce parfum de la charité, la première des vertus chrétiennes.

         Tel est le résumé de l'histoire du Désert des Carmes Déchaussés de la Garde-Chatel, proche Louviers, avec adjonction de quelques documents nouveaux.

         Les pièces justificatives ont été publiées successivement dans la Revue Catholique de Normandie, à Evreux, en 1899.

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Notes

[1] Cette hostie jetée au feu, puis jetée dans l'eau bouillante, puis lacérée d'un coup de poignard, demeura toujours intacte. Ce miracle dit « des Billettes » a été reproduit par les verriers du XVIe siècle, sur six vitraux, pour l'église Saint-Eloi, à Rouen. Ces vitraux, des plus intéressants, sont, en grande partie, conservés au musée de Rouen. La description en a été faite par M. Jules Adeline.

[2]Le cloître était très grand et des peintures murales y représentaient toutes les circonstances du voyage des Carmes, de la Terre Sainte à Paris,

[3] Madame veuve de Polaillon fonda la congrégation des filles de la Providence ;  Saint Vincent de Paul obtint qu'Anne d'Autriche s'en déclarât la protectrice.

[4] Ce bosquet n'était qu'une fraction de la Garde-Chatel qui, dans l'origine, était une des cinq gardes ou portions de la forêt de Bord, domaine considérable des anciens ducs de Normandie.

Il existe aux archives nationales, à Paris, un plan de cette forêt, daté de 1566, fort intéressant.

[5] Ce domaine de Bayeux était un petit domaine distinct du grand domaine, parce qu'il fut composé de plusieurs petites parties que le Roy se réserva lorsqu'il engagea son grand domaine au duc de Ferrare, en 1528.

[6] Cet arrêt de vérification ne fut rendu que le 30 août 1661. Les lettres ne furent enregistrées au bureau des finances de la Généralité de Caen, que le 16 avril 1663.

[7] Une lame de plomb fut trouvée dans la fondation d'un gros mur de l'église ; elle est actuellement au Musée de Louviers, provenant de la collection Lalun. Elle porte l'écusson de France aux trois fleurs de lys. Au-dessous, l'inscription suivante :

« Ludovicas XIV Galliarum Rex Christianissimus, Sacri Déserti fondator, hunc primum posuit lapidem, per manus ilmi et Revmi Egidii Boutaut Episcopi Ebroien. Anno pacis die XX Augusti 1660.

[8] Cet ermitage fut appelé Ermitage de Saint-Louis.

[9]Un érudit de l'Ordre des Carmes fait remonter l'origine de son Ordre au prophète Elie, se retirant sur le Mont Carmel. Son exposé héraldique, où il comprend le Christ, eut à supporter de nombreuses et savantes controverses, notamment celle du P. Papebrock, Jésuite au XVIIe siècle, mais les Carmes maintinrent leurs prétentions.

[10] Cette plaque de cuivre est au musée de Louviers; elle faisait également partie de la collection Lalun.

[11]Je n'ai pu retrouver ce registre, mais j'ai eu en mains un fort beau manuscrit composé de seize feuilles de parchemin, recouvert d'une fort bonne reliure en veau, décorée d'un encadrement de double filet doré, a roulettes dorées à l'intérieur, et formant un in-4° raisin.

Ce travail est intitulé : Conseils à une Reyne sur la manière d'élever ses enfants. Et II est signé : F'- CNVCDI.

II appartient a une très ancienne et très honorable famille du pays, la famille Delandre, dont la propriété est coutiguë au mur du couvent. L'un d'eux, Pierre Delandre, occupait par bail authentique des terres dudit couvent.

Ce travail, écrit en lettres bâtardes, avec de belles capitales, semble bien être une de ces thèses qui aurait été traitée sur la demande d'Anne d'Autriche. Les initiales formant signature peuvent, sous plus d'un titre, faire reconnaître leur auteur, le Frère Cyprien de la Nativité de la Vierge, Carme Déchaussé Indigne.

Ce moine, André de Compans, né à Paris, avait reçu une grande instruction, publia de nombreux travaux sur des sujets religieux. Venu du couvent de Saint-Germain au couvent de Rouen, peut-être pour aider à l'installation du Désert, on trouve son nom comme ayant assisté, le 22 octobre 1664, à une donation de six mille livres en écus, laquelle somme il emploie pour obtenir le désistement des procédures commencées. Plus tard, en 1673, on trouve ses parents faisant fondation d'une cellule.

La mort d'Anne d'Autriche, survenue le 15 janvier 1668, a peut-être été la cause que ce travail fait « suivant l'ordre de Sa Majesté », comme il est mentionné dès les premières lignes, est resté dans le pays, ne pouvant plus parvenir à sa destination.

[12] Le Prieuré de Montaure fut fondé en 1018, par Stigandus, gentilhomme de la chambre de Richard II, duc de Normandie et Roi d'Angleterre, qui lui donna une partie des revenus de l'église Saint-Etienne-des-Tonneliers, de Rouen.

[13] Les descendants habitent le château de Saint-Aubin-d'Ecrosville.

[14] On connaît la légende de Saint-Lubin :

Lubin était un ermite qui vivait dans la contrée ; un jour qu'il était allé à Louviers, il acheta un poisson pour sa nourriture. A son retour, il s'arrêta au pied d'une épine et s'y endormit. Il ne se réveilla qu'au bout de sept ans; à son réveil, l'ermite n'avait nullement vieilli et son poisson avait conservé sa fraîcheur. Le bruit de ce miracle se répandit et Lubin devint en grande vénération. D'après certaine version Saint-Lubin mort évêque de Chartres en 566 vint le visiter ; mais d'autres racontent que l'ermite finit par consentir à abandonner la solitude et fut nommé évêque à Chartres.

En tous cas, une antique chapelle existait en cet endroit, et au XIIe siècle y fut établi le Prieuré de Saint-Aubin-de-1'Epine. La Révolution a supprimé le Prieuré, mais sa chapelle subsiste et est encore le but de nombreux pèlerinages. Les Pèlerins tournent sept fois autour de l'épine qui a continué à pousser près de la chapelle.

On sait que Saint-Lubin, évêque de Chartres, fut, dans sa jeunesse, en but à de violentes persécutions, qu'il fut même laissé pour mort et dut se cacher à diverses reprises. Est-ce pour fuir ses persécuteurs qu'il vint en cette contrée, de même qu'en­viron trois siècles auparavant Saint-Maux et Saint-Vénérand y étaient venus et furent martyrisés tout près de là, à Acquigny?

Dans cette légende du poisson, ne doit-on pas reconnaître cet emblème des premiers chrétiens, et afin d'indiquer qu'après sept années la foi chrétienne de Lubin avait conservé toute son ardeur, toute sa fraîcheur?

[15] L'abbé Caresme. Notes dans Le Publicateur de Louviers du 18 avril 1876.

[16]Louis Maret, de Rouen.


Sur ce plan des bâtiments monacaux on repère en -1- la chapelle d'origine dont rien ne subsiste, hormis des vestiges de fondation trouvés lors de travaux; en -2- un des pavillons d'angle (voir photo ci-dessus) et en -3- l'ancien mur extérieur du bâtiment.

Le pignon de la construction de l'entrée, datant très vraisemblablement de la construction du Désert.

Aujourd'hui, toujours à l'abri de son grand mur, la Garde-Châtel retentit l'hiver des aboiements des chiens et des coups de fusil des chasseurs, ou s'anime l'été des jeux et des activités des groupes de jeunes qui viennent y découvrir la nature.
Nous remercions vivement Madame De La Haye, pour l'amabilité de son accueil, les précisions qu'elle nous a fournies, et l'autorisation de publier, sur le site de la SED, les photographies des témoignages du Désert des Carmes Déchaussés.
Documents de la Société d'Etudes Diverses. Utilisation et reproduction des photos interdites.

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